La Femme immortelle

Chapitre 28

 

 

Ce que personne, pas même le marquis de laRoche-Maubert, n’avait deviné, c’est que le souterrain auquel lacheminée servait d’entrée, s’étendait non point sous la maison dubourgeois Guillaume, mais sous la maison voisine.

On pouvait donc creuser indéfiniment dans lescaves de la première sans rien découvrir.

Quand le Gascon avait été parti,M. d’Esparron avait pensé qu’il fallait prévoir le cas où ilparlerait et raconterait à quelqu’un l’existence de cette portecachée par la plaque de la cheminée.

Alors Guillaume et lui n’avaient pas perdu detemps ; ils avaient muré cette porte, ayant soin de mélangerau mortier un peu de noir de fumée, ce qui avait sur-le-champ donnéau mur une apparence de vétusté qui avait trompé Porion et sesacolytes.

Guillaume, du reste, avait raison en disantque la cheminée était maintenant le seul endroit sur lequel on nedirigerait plus aucune recherche.

Une fois dans le souterrain, le bourgeoishomme d’épée et le chevalier d’Esparron descendirentrapidement.

L’obscurité la plus profonde les enveloppait,mais le chemin qu’ils suivirent leur était familier sans doute, carni l’un ni l’autre ne songea à se procurer de la lumière.

Les deux portes que nous avons vu franchir aumarquis de la Roche-Maubert s’ouvrirent et se refermèrent devanteux ; puis une troisième, et alors la lumière succéda pour euxà l’obscurité.

Ils étaient au seuil de la salle de verduredans laquelle la femme immortelle avait reçu le Régent quelquesjours auparavant.

Elle s’y trouvait, en ce moment, et en voyantentrer le chevalier, elle eut un geste de soulagement.

– Ah ! dit-elle, je commençais àdésespérer de te voir revenir.

Puis apercevant Guillaume :

– Se passe-t-il donc là-haut quelquechose d’extraordinaire ? demanda-t-elle avec inquiétude.

– Janine, répondit le chevalier d’unevoix grave et triste, les gens dont je vous ai parlé hier n’ontpoint suivi les recommandations de Son Altesse.

– Comment cela ?

– Ce maudit président au Parlement s’estmis en tête de retrouver le marquis de la Roche-Maubert.

– Il ne le retrouvera pas, dit-ellefroidement.

– Mais il peut nous découvrir, et ilimporte de nous hâter.

– Il me faut huit jours, dit Janine.

– Huit jours.

– Oui, et c’est ce soir que commence monœuvre.

Elle prononça ces mots d’une voix grave,triste, solennelle.

On eût dit la voix de la Destinée.

Puis elle prit une montre suspendue à saceinture :

– J’ai encore une heure devant moi, monbien-aimé, dit-elle. Le margrave n’arrivera pas avant.

– C’est donc décidément ce soir qu’ilvient ?

– Oui, dit-elle, regardant toujoursGuillaume.

Celui-ci comprit qu’elle voulait être seuleavec le chevalier et il fit un pas de retraite.

– Ouvre cette porte, ditM. d’Esparron, et va rejoindre nos serviteurs là-bas.

Guillaume obéit et Janine demeura seule avecle chevalier.

Alors elle lui prit les deux mains, le regardaavec amour et lui dit, tandis qu’il s’asseyait auprèsd’elle :

– Mon cher bien-aimé, tu ne sais encoreque la moitié de mon histoire et l’heure est venue où tu dois lasavoir tout entière.

– Je n’ai besoin de rien savoir, réponditle chevalier, qui mit un baiser sur le cou de cygne de la jeunefemme. Je t’aime et me suis fait ton esclave.

– Soit, dit-elle, mais je veux que tusaches que je poursuis un but sacré, que j’accomplis une œuvreterrible, mais pieuse. Écoute-moi donc, mon ami.

– Eh bien ! parle, dit le chevalierqui lui prit un nouveau baiser.

Alors Janine parla ainsi.

– Je ne suis pas, et il n’y a jamais eude femme immortelle. J’ai vingt-quatre ans, et je mourrai quand monheure sera venue.

« Une ressemblance frappante, étrange, aveccelle dont je porte le nom m’a permis de reprendre la longue etterrible tâche de notre famille.

« Janine, qui a aimé le margrave et que lemargrave a envoyée au bûcher, était ma tante. Elle avait une sœur,ma mère, qui lui ressemblait trait pour trait, et ma mère lui avaitjuré de la venger.

« Mais ma mère est morte avant d’avoir putenir sa promesse, et elle m’a légué cet héritage de famille.

« Tu sais maintenant qui je suis, mais ce quetu ne sais pas, c’est qui nous sommes, d’où nous venons, et quelleest cette œuvre mystérieuse que trois générations successivess’étaient juré d’accomplir. »

Janine parlait de cette voix grave etmélodieuse à laquelle un accent de tristesse ajoutait un charme deplus ; et le chevalier l’écoutait avec une aviditérespectueuse.

– Nous sommes de race bohême,reprit-elle, et il y a du vrai dans ce que ce vieux fou de laRoche-Maubert racontait au souper du Régent.

« Mon aïeule, la mère de Janine, était venueen France à la suite de cette belle et malheureuse ÉléonoreGaligaï, qui, sous le nom de la maréchale d’Ancre, devait finird’une façon si tragique.

« Elle n’était point sa servante ; elleétait plutôt son amie.

« Mon aïeule était bohême, mais d’origineprincière. Nos ancêtres ont eu des palais en Allemagne et enItalie, puis ils ont été persécutés, ruinés, trahis.

« Éléonore Galigaï avait vingt ans, lorsque,un soir, dans les rues de Florence, elle rencontra une petite fillequi chantait et s’accompagnait d’une guitare.

« Elle la recueillit et l’éleva.

« L’enfant savait le passé de safamille : elle savait que son père avait été trahi par unhomme qui avait eu longtemps sa confiance et son amitié.

« Cet homme était le prince Pierre deLansbourg-Nassau, le père de ce margrave qui, à son tour, a causéla mort de Janine.

« Ce misérable avait ourdi un complot contrela vie de l’empereur son souverain, et il y avait entraîné leseigneur bohême mon ancêtre.

« Puis il avait vendu ses complices et, pourprix de sa trahison, on lui avait donné les biens confisqués à sonami, qui porta sa tête sur le billot.

« La petite fille recueillie par ÉléonoreGaligaï savait tout cela.

« Celle qui devait s’appeler la maréchaled’Ancre l’emmena en France et la maria à un seigneur italien de sasuite.

À cet endroit de son récit, Janines’arrêta.

– Tout cela est bien embrouillé, n’est-cepas ? dit-elle en regardant le chevalier d’Esparron ;mais bientôt tu vas voir sortir de ces événements confus une clartélumineuse et tu verras si le devoir que je suis chargé d’accomplirest sacré.

Et Janine reprit son récit, abandonnant sesdeux mains au chevalier d’Esparron qui les embrassait avectransport.

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