La Femme immortelle

Chapitre 34

 

 

Un deuxième coup de cloche se fit entendre etune seconde porte s’ouvrit aussitôt.

Alors, la lumière devint pluséblouissante.

Le margrave, entraîné par madame Edwige,venait d’entrer dans une petite salle ronde, éclairée par de vastesglobes de différentes couleurs et dont les murs étaient tendusd’étoffes orientales aux tons chauds et chatoyants. Des divans à laturque, des piles de coussins, des narghilés à longs tuyauxflexibles terminés par un bout d’ambre, posés à terre, encomposaient tout l’ameublement.

Deux négrillons de taille microscopique, devéritables nains vêtus de rouge, étaient immobiles aux deux côtésde la porte.

On eût dit deux lampadaires d’ébène, car ilstenaient chacun un flambeau.

Une draperie se souleva dans le fond et unvieillard à barbe blanche, vêtu d’une longue robe brune, entra enmême temps.

On eût dit un de ces eunuques respectables quipeuplent le sérail d’un grand seigneur.

Il s’avança lentement, avec une grandemajesté, au devant du margrave, se plia en deux pour saluer etdit :

– Salut à celui qui attend la femmecéleste dont je suis l’humble esclave et qui m’est aussi supérieureque l’étoile l’est au ver de terre.

Ce langage oriental plein d’images rassura unpeu le margrave.

Mais son cœur battait toujours avec force, etses oreilles bourdonnaient encore de l’infernal clapotement del’eau dans le canal souterrain.

– La fille céleste qui a franchi les merspour venir au devant de toi, poursuivit le vieillard, va bientôtvenir éblouir tes yeux de sa beauté incomparable.

« Mais elle désire auparavant que tu tereposes un peu des fatigues du voyage.

Le margrave était encore si ému qu’il selaissa tomber sur un divan.

Madame Edwige se tint debout auprès delui.

Le vieillard s’approcha d’un timbre d’argentauprès duquel était une baguette d’ébène, et prenant cettebaguette, il frappa deux coups.

À ce bruit, la draperie se souleva de nouveauet deux autres nains, aussi noirs que les premiers, entrèrentportant un plateau sur lequel le margrave vit des confitures, dessorbets et des pâtes d’Orient.

Sur un signe du vieillard, ils vinrentprésenter le plateau au margrave.

Celui-ci hésitait.

N’était-il pas chez Janine qui, pour sevenger, le voulait empoisonner ?

Mais madame Edwige lui dit en langueallemande :

– Prenez donc, monseigneur.

Et pour lui donner l’exemple, elle prit unsorbet et l’avala d’un trait.

Alors le margrave l’imita.

Soudain les battements désordonnés de son cœurs’apaisèrent et un bien-être souverain s’empara de tout soncorps.

Il sentit son front baigné de sueur subitementrafraîchi et comme une vigueur nouvelle circuler dans sesveines.

Les négrillons posèrent le plateau devant luiet allèrent chercher un narghilé, qu’ils lui apportèrent.

– Fumez ! ordonna encore la terriblemadame Edwige.

Et le margrave, docile, prit le tuyau qu’onlui présentait et le pressa de ses lèvres.

Alors il fut pris de cet enivrementincomparable, il se trouva plongé dans cette béatitude céleste quis’empare des fumeurs de hatchis[8] à latroisième bouffée, et il s’écria :

– Où est-elle ? oùest-elle ?

– Me voici, dit une voix harmonieusecomme le soupir de la brise dans les pins qui bordent les rivagesméditerranéens.

Et la draperie s’étant soulevée une troisièmefois, une femme entra.

Mais cette femme était masquée.

Seulement sa taille onduleuse, ses longscheveux noirs tombant en boucles éparses sur ses blanches épaules,demi nues, et l’ardent et voluptueux regard qui brillait au traversdu masque disaient éloquemment qu’elle était belle.

Mais la vue de ce masque arracha un moment lemargrave à l’état extatique, où il commençait à être plongé, sessouvenirs l’assaillirent et il s’écria :

– Janine ! c’est Janine !

– Janine ? fit l’inconnue avec unaccent plein d’étonnement, qu’est-ce que Janine ?

– Une femme que j’ai… aimée…

– Ah ! dit-elle.

Et elle eut un sourire au travers de sonmasque.

– Janine ! répétait le margrave dontles dents s’entre-choquaient.

– Mais ce n’est pas moi, dit-elle.

– Elle était masquée… toujours masquée…comme vous…

– Alors, fit-elle en venant s’asseoir surle divan auprès de lui, vous n’aviez jamais vu sonvisage ?

– Oh ! si !

– Et… vous la reconnaîtriez…

– Si je la reconnaîtrais ? dit lemargrave, dont l’épouvante augmentait.

– Eh bien, voyez !

Et le masque de velours noir tomba.

Alors le margrave jeta un cri.

Non plus un cri d’épouvante, mais un cri dejoie et d’admiration.

Ce n’était pas Janine.

C’était une jeune fille éblouissante debeauté, de jeunesse, qui prit les mains du margrave et luidit :

– Savez-vous que je viens tout exprèspour vous du fond de l’Orient ?

« Me trouvez-vous belle, au moins, etpensez-vous que je sois digne de m’appeler la princesse deLansbourg-Nassau ?

– Vous n’êtes pas une femme,balbutia-t-il ivre de volupté, vous êtes un ange.

Et il prit dans ses mains amaigries et sèchescomme du parchemin les belles mains parfumées de la jeune fille, etil les porta à ses lèvres.

– Mais, fit-elle, l’enivrant de sonsourire, dites-moi donc, qu’était-ce donc que cette Janine ?Savez-vous que je suis horriblement jalouse ?

Et le margrave, fasciné, la contemplait avecextase, et il ne s’apercevait pas que madame Edwige n’était plusauprès de lui et que le vieillard à la barbe blanche et les quatrenégrillons s’étaient retirés discrètement.

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