La Femme immortelle

Chapitre 27

 

 

Le chevalier d’Esparron pénétra donc dans lamaison et traversa le vestibule sans lumière, guidé seulement parun filet de clarté qui passait sous une porte.

Cette porte ouverte, il se trouva au seuil dela salle où nous avons déjà vu le marquis de la Roche-Maubert etson ami de hasard le Gascon Castirac.

Mais un singulier spectacle, et qui le fitfrissonner, s’offrit alors à sa vue.

Un grand désordre régnait dans cette salle, etles meubles renversés attestaient d’une lutte violente et qui avaiteu lieu récemment.

En même temps, il y avait dans un coin unhomme couché sur le sol et qu’on aurait cru mort ou endormi, tantil était immobile.

Le chevalier se précipita vers lui.

Cet homme, c’était le bourgeois Guillaume.

Guillaume n’était pas mort, Guillaume nedormait pas ; il avait les yeux grands ouverts.

Mais Guillaume était bâillonné et garrotté simerveilleusement qu’il ne pouvait ni jeter un cri, ni faire unmouvement.

D’Esparron tira son épée et s’en servit pourcouper les cordes qui meurtrissaient ses poignets et seschevilles ; puis, lui ayant ôté son bâillon, il lui dit d’unevoix émue :

– Parle… Qu’est-il arrivé, monDieu ?

Le bourgeois se releva.

– Rien de mauvais jusqu’à présent,répondit-il, sauf une mésaventure.

– Qui donc t’a ainsi lié etbâillonné ?

– Des agents de police sous les ordresd’un misérable appelé Porion.

– Ah ! fit d’Esparron, je m’endoutais. Mais dis-moi comment ils sont entrés ici.

– C’est le Gascon qui nous a trahis.

– Je le sais.

– Heureusement, depuis le jour où jel’avais renvoyé en lui mettant deux cents pistoles dans la main,nous avons bouché l’entrée du souterrain derrière la plaque decheminée, ce qui a dérouté tout ce monde-là.

– Mais comment sont-ils entrés ?

– Attendez, reprit Guillaume, que je meremette un peu.

Il y avait de l’eau et un verre sur une table.Le bourgeois se mit à boire à longs traits.

– Monsieur le chevalier, dit-il ensuite,non seulement le Gascon nous a trahis, mais la protection du Régentcesse de nous couvrir.

– C’est à dire, répondit d’Esparron, que,tandis que le Régent nous protège, un vieux fou, le présidentBoisfleury s’est mis en tête de nous traquer comme des bêtesfauves.

– C’est cela même, dit Guillaume, carj’ai entendu Porion prononcer son nom.

– Tu ne me dis toujours pas comment ilssont entrés ?

– En me disant au travers duguichet : – Nous venons de la part du Régent qui veut voir,sur-le-champ, le chevalier d’Esparron.

– Ils savent mon nom ?

– Oui, monseigneur.

– Et tu leur as ouvert ?

– Ç’a été ma première faute. Quand ilsont été dans la maison, ils se sont jetés sur moi, je me suisdéfendu longtemps si vigoureusement, espérant toujours que vousalliez revenir assez à temps pour me porter secours ; maisenfin j’ai été terrassé, garrotté et bâillonné comme vous m’avezvu.

« Alors ils se sont mis à chercher le ressortqui faisait mouvoir la plaque de la cheminée, et, ne le trouvantpas, ils ont brisé cette plaque.

En effet, le chevalier d’Esparron s’aperçutalors que la plaque était brisée et le feu éteint.

Mais derrière cette plaque, au lieu d’uneouverture qu’ils avaient cru trouver, Porion et ses hommes avaientrencontré un mur plein et qui paraissait aussi ancien que le restede la maison.

Cette découverte avait même arraché à Porioncette exclamation : – Peut-être bien que ce maudit Gascons’est moqué du président Boisfleury.

– Alors, poursuivit Guillaume, ils ontfouillé la maison de fond en comble, depuis la cave jusqu’augrenier ; mais ils n’ont rien découvert, comme bien vouspensez.

« Porion, découragé à moitié, dit à sescompagnons :

« – Allons-nous-en ! nous ne savonsqu’une chose, c’est que le chevalier d’Esparron loge ici et qu’iln’est pas chez lui. Venez.

« Et il m’a laissé dans l’état où vous m’aveztrouvé et ils s’en sont allés tous les trois.

– Mais, dit Guillaume, mon avis est qu’ilfait mauvais ici pour nous et qu’il nous faut déguerpir.

– C’est mon avis aussi, ditM. d’Esparron avec un soupir. Mais cela ne dépend pas de moi.Elle seule peut décider. En attendant, mon ami,ajouta-t-il, je vais te mettre à l’abri. Tu me suivras dans lessouterrains.

– La maison restera doncdéserte ?

– Oui.

– Il est vrai, fit Guillaume, qu’à moinsqu’on ne la démolisse, on ne trouvera pas l’autre entrée ; etla raison en est toute simple : on a rencontré un mur pleinderrière la plaque de cheminée, et désormais la cheminée est leseul endroit vers lequel on ne songera plus à diriger lesinvestigations.

– L’essentiel, dit le chevalier, c’estque nous soyons tranquilles deux ou trois jours. Allons, viens.

Sur ce dernier mot, le chevalier prit une deschaises que les gens de Porion avaient renversées ; ill’approcha de la cheminée et en fit un marchepied.

Cette cheminée était du bon vieux temps, etcontemporaine pour le moins du roi Louis XIII ; son largemanteau eût abrité vingt personnes, et on eût pu mettre un bœuf àla broche sur ses hauts chenets de fer forgé.

Le bourgeois, qui l’avait fait construire,n’avait eu garde d’oublier ses armoiries et il les avait faitpeindre sur le manteau, dans le coin gauche, et sur un panneauencadré de riches sculptures.

Le chevalier d’Esparron étant monté sur lachaise, promena sa main sur le panneau et toucha un ressortsemblable en tout à celui qui faisait auparavant mouvoir la plaquedu foyer.

Soudain, le panneau tourna comme une porte quis’ouvre à l’extérieur, et démasqua une seconde ouverture pratiquéedans l’épaisseur de la muraille.

– Filons vite, ditM. d’Esparron.

Et il enjamba cette croisée mystérieuse etdisparut.

Guillaume le suivit et le panneau sereferma.

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