La Femme immortelle

Chapitre 42

 

 

Janine ouvrit cette porte.

– Une fameuse serrure ! murmura lemargrave qui put entendre, au seul mouvement de cette petite clef,grincer des verroux, et des pênes énormes courir dans leursgâches.

Janine ne répondit pas.

La porte ouverte, le margrave vit un escalierqui s’enfonçait verticalement et tourner en manière de coquille decolimaçon.

À quelle profondeur atteignait-il, partantdéjà de cette profondeur non calculée où se trouvaient Janine et lemargrave ?

Nul n’aurait pu le préciser.

Mais les gémissements, les plaintes, etparfois les hurlements du prisonnier, tout en arrivant plusdistinctement aux oreilles du margrave, lui parurent encore monterdu fond de l’enfer.

Janine fit un nouveau signe aux deuxnégrillons.

L’un posa le pied sur la première marche etcommença à descendre lentement.

Puis Janine, tenant toujours le margrave parla main, descendit après lui.

Enfin le deuxième négrillon, élevant satorchère au dessus de leur tête, ferma la marche.

À mesure qu’ils descendaient les imprécationset les hurlements du prisonnier devenaient plus violents et plusnettement articulés.

– Mais enfin, dit le margrave à Janine,explique-moi donc…

– Comment le marquis est en monpouvoir ?

– Oui. Car je l’ai vu, il y a quinzejours.

– Je sais cela.

– Ah ! vraiment ?

Janine reprit :

– Maintenant que tu m’as donné une preuved’amour, je ne veux pas revenir sur le passé ; mais enfin, ilfaut bien que je te dise que le marquis, alors âgé de vingt ans,fut ton complice, quand tu m’envoyas au bûcher.

– C’est lui qui te dénonça,traîtreusement.

– Soit, mais tu l’y avais poussé.

Le margrave ne répondit pas.

– Deux jours avant ma mort, poursuivitJanine, car, pour lui et pour toi, j’allais mourir, je ne t’aimaisplus, je te méprisais et j’aimais le marquis.

« Lorsque je suis montée sur le bûcher, unrevirement se fit dans mon cœur.

« Je vous aperçus tous deux dans la foule, etsoudain je me repris à t’aimer avec cette frénésie sauvage dontaujourd’hui encore je te donne une preuve éclatante, et je me juraide châtier le marquis.

« Et puis, ajouta Janine, avec sa voixmélancolique et son sourire triste, il s’est passé quarante années,et je ne me suis point vengée.

« Je suis une femme d’amour et non une femmede haine.

« Je t’aimais, et le jour où je fus sur lechemin de cette découverte, qui pouvait te rendre la jeunesse et tefaire immortel, je n’eus plus qu’un but, qu’une pensée, un désirardent : te reconquérir tout entier, mon Fritz adoré.

Ce vieillard chancelant, aux cheveux rares etaux dents disparues, avait une telle dose de fatuité qu’il nesourcilla point à ces brûlantes paroles de Janine.

La femme immortelle poursuivit :

– Mais le marquis s’est mis en tête de meretrouver, de me revoir, lui qui croyait à mon immortalité.

« Il a voulu faire du bruit, il a faillicompromettre mes projets te concernant. Alors, je lui ai tendu unpiège et il y est tombé.

Les hurlements continuèrent.

Bientôt le margrave, qui descendait toujours,put entendre ces paroles nettement articulées :

– Janine, je te ferai périr par la hachedu bourreau, et quand ta tête sera détachée du tronc, nous verronsbien si tu es immortelle !

– Nous y voici, dit Janine aumargrave.

Celui-ci aperçut alors une énorme grille quifermait une sorte de logette pratiquée dans la cage de l’escalier,lequel, du reste, continuait à s’enfoncer sous terre.

Alors les deux négrillons se placèrent devantcette grille, projetant à l’intérieur de ce singulier cachot lalumière de deux torchères.

Le margrave vit alors le marquis à demi vêtu,les cheveux en désordre, sa chemise déchirée, pâle, hâve, grinçantdes dents et se cramponnant de ses mains crispées aux barreaux desa prison.

– Ah ! te voilà, Janine !s’écria-t-il en lui montrant le poing, je t’aimais jadis, mais jete hais maintenant, et je te ferai mourir de la main dubourreau.

Janine haussa imperceptiblement les épauleset, s’effaçant, laissa voir le margrave au prisonnier.

Cette vue lui donna un redoublement de rage,et il montra le poing à son rival.

– Marquis, lui dit Janine, l’heure devotre délivrance approche.

Il eut un ricanement de fureur.

– Si tu me délivres, sorcière d’enfer,dit-il, tu hâteras ton châtiment.

– Je vais rendre la jeunesse au margrave,poursuivit-elle, à mon Fritz bien-aimé ; puis nous nousmarierons et nous quitterons la France. Dès lors, marquis, jebraverai votre colère et vous pourrez reconquérir votre liberté,dont, dès à présent, ajouta-t-elle, je vais vous fournirl’instrument.

Ce disant, elle tira de son sein une petitelime qu’elle lui jeta au travers des barreaux.

– En admettant, poursuivit-elle, que vousen fassiez usage nuit et jour, il vous faudra deux grandes semainespour briser ces barreaux, et dans quinze jours, nous serons hors deFrance.

L’exaspération du marquis croissait au lieu dese calmer.

– Fusses-tu au bout du monde !s’écria-t-il, je te rejoindrai !

– Que je vous donne un dernierrenseignement, marquis, dit encore Janine. Vos barreaux brisés,vous descendrez cet escalier. Il aboutit à un corridor qui remonteau niveau de la Seine. Vous êtes bon nageur, vous l’avezprouvé.

Et elle lui tourna le dos.

– Viens, dit-elle au margrave, viens monbien-aimé. Je vais travailler maintenant à te rendre lajeunesse.

** * *

Dix minutes après, le margrave s’était couchésur le lit où déjà Janine lui avait tiré plusieurs pintes desang.

Un des négrillons tenait l’aiguière d’argent,l’autre éclairait cette scène bizarre.

Cependant Janine n’avait point encore piqué laveine d’où le sang devait jaillir.

Un soupçon traversa l’esprit du margrave,comme elle approchait l’épingle d’or de son bras nu.

– Arrête ! s’écria-t-il.

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