La Femme immortelle

Chapitre 34

 

 

Il se fit comme une lueur dans l’esprit deM. de la Roche-Maubert, mais une lueur de bon sens.

La vieille femme qu’on avait vue, quaranteannées auparavant, entrer dans la maison de Janine, le soir dusupplice, en tenant un bouc en laisse, lui revint tout à coup enmémoire.

Peut-être cette mendiante à qui il venait defaire l’aumône était-elle cette même vieille femme.

Depuis que sa folie amoureuse le tenait, lemarquis n’avait pas encore éprouvé un seul moment de crainte.

Il en eut un en ce moment ; et peut-êtremême eût-il battu en retraite s’il eût été seul.

Mais le Gascon était avec lui.

Le Gascon qui voulait gagner ses deux centspistoles et qui se mit à rire.

Le rire du Gascon fit tressaillir lemarquis ; il eut honte de son hésitation :

– Allons donc, fit-il, enavant !

– C’est mon avis, répliqua le chevalierde Castirac.

Et ils allongèrent le pas et entrèrent dans larue de l’Hirondelle.

Mais le marquis avait pris le bras de sonjeune compagnon et lui disait :

– Il faut pourtant que je vous mette aucourant de la situation.

– Fort bien. J’écoute.

– Ce n’est pas d’hier, reprit le marquis,que j’aime la personne.

– Ah !

Le marquis n’osait cependant avouer que sonamour remontait à quarante ans.

Le chevalier aurait fort bien pu lui rire aunez, tout comme il avait fait pour la mendiante.

– Donc, mon amour n’est pas d’hier,continua le vieux fou, mais la femme que j’aime est peut-être laplus pure et la plus belle du monde.

– Je vous crois sans peine, monsieur,interrompit le chevalier de Castirac, flatteur et courtisan commedoit l’être un homme qui loge le diable en son escarcelle.

Le marquis poursuivit :

– Tenez, voilà la maison où elle est.

– Bon !

– Il s’agit d’en faire le siège.

– Et de tuer un amant ou un mari jaloux,sans doute.

– Attendez, ce n’est pas cela…

– Voyons, alors ?

Et le chevalier regarda tour à tour lemarquis, dont le visage s’empourprait, et la maison, qui étaitsilencieuse et qui paraissait déserte.

– Cette maison est pleine de mystères,tout comme la femme que j’aime, reprit M. de laRoche-Maubert.

– En vérité !

– Entre nous, cette créature idéale debeauté est un peu bizarre, un peu… extraordinaire… elle s’occupe descience.

– Comment cela ?

– De chimie et d’alchimie, dit encore levieux marquis, jugeant inutile de tout dire au chevalier, maisayant besoin cependant de lui faire comprendre certaines choses,afin d’utiliser le secours de son épée quand il en seraittemps.

– Elle fait donc de la chimie et del’alchimie ? Que cherche-t-elle ?

– La pierre philosophale.

– C’est à dire le moyen de faire del’or ?

– Précisément.

– Et… l’a-t-elle trouvé ?

– Peut-être bien… je ne sais au juste.Mais voici ce que je sais, cette maison est double.

– Comment cela ?

– Elle a une partie souterraine où setient l’objet de mes amours, un palais éclairé par des lampes etdans lequel la lumière du jour n’a jamais pénétré.

– Après ? fit le Gascon,intrigué.

– La partie supérieure de la maison,c’est à dire ce que nous voyons, est habitée par un bourgeois fortniais appelé Guillaume Laurent ; mais sa niaiserie et son airplacide, il ne faut pas nous y tromper, ne sont qu’apparents, etcet homme est comme le Cerbère de ce palais souterrain dontj’ignore l’entrée.

– Fort bien, dit froidement le Gascon. Jelui mettrai mon épée sur la gorge, et il faudra bien qu’il nous lamontre, cette entrée.

– Ce n’est pas tout encore, dit lemarquis.

– Ah !

– La belle a un amant…

– Oh ! oh !

– Et c’est avec lui qu’il faudra endécoudre, si nous parvenons dans la partie souterraine dont jeparle.

– Je n’en ferai qu’une bouchée, dit leGascon, qui n’était pas né pour rien sur les bords de laGaronne.

– Or donc, poursuivit M. de laRoche-Maubert, voici, selon moi, le plan à suivre.

– Voyons.

– Vous allez frapper à la porte.

– Après ?

– Il est probable qu’un guichet seulements’ouvrira, et qu’on demandera quel peut être le visiteur qui seprésente à pareille heure.

– Que répondrai-je ?

– Mais, monsieur Guillaume, je viens dela place du Châtelet, et j’ai un message pour vous.

Le Gascon s’inclina.

– Il est probable que le bourgeois vousouvrira.

– Je comprends, en ce cas, je lerepousserai dans l’intérieur et vous entrerez derrière moi.

– C’est cela même.

– Le reste ira tout seul, acheva leGascon. Effacez-vous derrière moi.

Le marquis se rangea le long du mur.

Alors le chevalier de Castirac souleva lelourd marteau de la porte qui, en retombant, fit retentir tous leséchos endormis de la maison.

Quelques secondes s’écoulèrent.

Puis on entendit un pas lourd à l’intérieur,puis encore, comme l’avait prévu le marquis, un guichet s’ouvritdans le milieu de la porte, et une voix, qu’il reconnut pour celledu bourgeois Guillaume, demanda :

– Que diable peut-on me vouloir àpareille heure ?

Un rayon de lumière, qui passait à travers leguichet, attestait que le bonhomme s’était muni d’une lampe.

– Je viens de la place du Châtelet etj’ai un message pour vous, répondit le chevalier.

Le bourgeois répondit :

– Soyez le bienvenu, en ce cas.

Et il ouvrit.

Soudain le chevalier le saisit à la gorge etle poussa dans le fond du vestibule.

En même temps, le marquis entra et ferma laporte.

– Cette fois, mon bonhomme, dit-il, ilfaudra parler…

Et il lui porta la pointe de son épée auvisage.

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