La Femme immortelle

Chapitre 29

 

 

M. de la Roche-Maubert s’était doncmis devant la porte, flamberge au vent, bien résolu à ne laisserentrer l’inconnu que lorsque celui-ci lui aurait donné uneexplication.

L’inconnu riait au travers de sonmasque :

– Vous allez me laisser pénétrer chezmoi, je suppose, dit-il.

– Pas avant que nous n’ayons causé unbrin, dit l’entêté marquis.

– Je ne vous connais pas, monsieur, fitcourtoisement l’inconnu.

– Ni moi, monsieur.

– Alors que pouvons-nous avoir à nousdire ? dit l’inconnu d’un ton hautain.

– Monsieur, reprit le marquis, vousvoulez entrer dans cette maison ?

– Sans doute.

– Et vous prétendez rentrer chezvous ?

– Parfaitement. La preuve en est quevoilà une clef qui tourne dans la serrure.

– Moi, monsieur, je sors de cette mêmemaison.

– Ah !

Et au travers du masque, les yeux de l’inconnubrillèrent comme des lucioles.

– J’y ai trouvé un brave homme qui senomme Guillaume Laurent.

– En vérité !

– Lequel m’a affirmé que la maison étaità lui.

– Ah !

– Or, reprit le marquis avec une logiquede plus en plus serrée, si la maison est à Guillaume, elle n’estpoint à vous ; si elle est à vous, elle n’est pas àGuillaume.

– Et qu’est-ce que cela peut vous faire,bon Dieu ?

– Cela m’intrigue.

– Mon gentilhomme, dit froidement l’hommeau masque, la curiosité est malsaine par de certaines nuits où ilfait clair de lune.

– Vraiment ! ricana le marquis.

– Je vous conseille donc d’aller vouscoucher fort tranquillement à votre hôtellerie, car vous meparaissez un gentilhomme de province, ajouta l’homme au masque avecironie.

– Que je sois de province ou non, je nem’en irai pas ! fit le marquis avec obstination.

– Mon cher monsieur, reprit l’inconnu quin’avait rien perdu de son calme, si vous n’aviez la moustachenoire, je jurerais que c’est à un vieux fou que j’ai affaire, tantvotre voix ressemble à la sienne. Ne seriez-vous pas par hasard lemarquis de la Roche-Maubert, un vieux maître qui se sera plongédans quelque bain préparé par Buffalo ?

Le marquis tressaillit.

Lui aussi croyait avoir entendu déjà la voixqui résonnait à ses oreilles.

Et tout à coup il dit à son tour.

– Et vous, en dépit de votre masque, jevous reconnais.

– Ah ! ah !

– Vous êtes le chevalierd’Esparron ?

– Vous êtes donc le marquis de laRoche-Maubert.

– Peut-être…

– Marquis, dit froidement l’homme aumasque, je croyais que vous aviez quitté Paris.

– Je l’ai quitté, en effet, mais je suisrevenu.

– Pour vous mêler de choses qui ne vousregardent pas.

– Peut-être.

– Vous avez tort, marquis.

– Je veux la voir ! dit levieillard.

– Qui donc ?

– Elle ! la sorcière ! la femmeimmortelle, qui loge dans cette maison, car, à présent, je n’enpuis plus douter.

– Bah !

– Puisque vous voilà.

– Je vous jure, marquis, que c’est un bonconseil que je vous donne, en vous invitant à vous aller coucher.Vous logez rue de l’Arbre-Sec, n’est-ce pas ?

– Non, plus maintenant : rueSaint-Jacques, au Cheval Rouan.

– C’est plus près. Bonsoir, marquis.

Et l’homme au masque voulut écarter lemarquis.

Mais le vieillard rajeuni lui porta la pointede son épée au visage.

– Allons, dit l’homme au masque, je suisde l’avis de monseigneur le Régent, vous êtes l’homme le plusentêté de France et de Navarre.

Et comme, lui aussi, il avait l’épée à lamain, il se mit en garde.

La rue était déserte et les bourgeoisdormaient.

Mais n’eussent-ils pas dormi qu’ils se fussentbien gardés, entendant un cliquetis d’épées, de se mettre à lafenêtre.

Les Parisiens du menu monde avaient pris, dèslongtemps, l’habitude de ne se jamais mêler des querelles de gensde qualité.

Le marquis et son adversaire pouvaient s’endonner à cœur joie.

Ils engagèrent donc le fer, et l’homme aumasque murmura d’un ton moqueur :

– Vous m’accorderez cette justice,monsieur, que j’ai essayé de vous parler raison.

Mais le marquis ne voulait rien entendre.

Il avait été très friand de la lame, en sontemps, et son adversaire, dès la première passe, sentit qu’il avaitaffaire à une rude épée.

– Ma foi ! tant pis, dit-il,advienne que pourra.

Pendant dix minutes on entendit un cliquetisd’enfer ; les deux épées étaient engagées jusqu’à la garde, lefer heurtait le fer, et ce vieillard et ce jeune homme luttaientavec une terrible égalité de force, de souplesse et de courage.

Cependant un spectateur, si ce combat en eûteu un, aurait pu voir que l’homme au masque se défendait plutôtqu’il n’attaquait, et conservait toutes ses forces, tandis que lemarquis commençait à s’épuiser.

– Marquis, dit-il tout à coup,croyez-moi, il en est temps encore, suivez mon conseil, rentrez àvotre auberge et, demain, prenez le chemin de votre château deNormandie.

– Plutôt la mort, répondit le marquis quisembla reprendre une vigueur nouvelle.

Et le combat recommença plus acharné quejamais.

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