La Femme immortelle

Chapitre 21

 

 

Le président Boisfleury le prenait sur un tonsi haut que le lieutenant de police résolut de dégager sur-le-champsa responsabilité.

– Monsieur le président, dit-il aveccalme, je pense que vous daignerez m’écouter avec le calme qui siedà ceux qui, comme vous, représentent la justice.

– Certainement, dit Boisfleury.

– Tout ce que vous venez de me raconter,reprit le lieutenant de police, je le savais ou à peu près.

– Ah !

– Parlons du margrave d’abord. C’est unprince allemand fort riche, très bien apparenté, qui jouit d’ungrand crédit et qui vient à Paris pour y semer royalement sonor.

« La police ni la justice n’ont rien à voirdans tout cela.

« Il plaît à ce personnage de faire de sonhôtel un champ de foire ou plutôt un marché sur lequel tout cequ’il y a de femmes douteuses ou de mœurs légères viennent exposerleurs charmes et briguer l’honneur d’être épousées ; je nevois là rien qui me doive préoccuper. »

– Soit, dit le président Boisfleury. Maiscet homme qu’on endort et qu’on jette dans la rue…

– Cet homme est un aventurier, etpeut-être ne vous a-t-il pas dit toute la vérité ; comme ceci,par exemple, que la prétendue sœur était une gourgandine et qu’il avoulu le premier se moquer du margrave.

– Mais le marquis de laRoche-Maubert…

– Ah ! ceci, c’est différent.

– Vous en convenez ?

– Certainement, le marquis, sur le compteduquel je suis plus renseigné que vous, a disparu, mais il adisparu après avoir refusé de suivre les conseils qu’on luidonnait.

– Il faut qu’on le retrouve !

– C’est ce que je me suis dit toutd’abord. L’hôtelier du Cheval rouan m’est venu voir.

– Quand cela ?

– Il y a huit jours. Il m’a raconté à peuprès tout ce que vous venez de me dire et j’ai donné des ordrespour qu’on retrouvât le marquis ou ses assassins, si, par hasard,il avait été la victime de quelque guet-apens.

– Et vos agents n’ont riendécouvert ?

Un sourire glissa sur les lèvres du lieutenantde police.

– Vous n’y êtes pas, dit-il, monsieur leprésident. Cependant vous devriez comprendre.

– Plaît-il ?

– À demi-mot…

– Encore une fois, monsieur, ditsévèrement Boisfleury, je vous somme de vous expliquer.

– Comme je mettais mes agents encampagne, dit froidement le lieutenant de police, on m’a averti dene pas aller plus loin.

– Et qui donc s’est permis…

– Voilà ce que vous auriez dû devinerdéjà.

– Je ne devine rien et je veuxsavoir.

Le lieutenant de police eut un gested’impatience.

– Oh ! ma foi ! dit-il, allezvoir monseigneur Philippe d’Orléans, régent de France, et il vousrenseignera mieux que moi.

Ce nom avait fait pâlir légèrementBoisfleury.

Mais c’était un homme d’une ténacité rare etqui ne se tenait jamais pour battu.

– Eh bien, soit, monsieur, dit-il, j’iraivoir Son Altesse, et cela à l’instant même.

– Pardon, dit le lieutenant de policeavec un sourire quelque peu railleur, je vous demanderai alors unegrâce.

– Laquelle ?

– Celle de raconter à Son Altesse notreentretien.

– Vous pouvez y compter ! ditBoisfleury hors de lui.

Et il se leva et prit congé.

Un autre homme que le président Boisfleury sefût mis à réfléchir.

Le Régent était le premier personnage deFrance et il devait en cuire à quiconque oserait aller contre savolonté.

Mais Boisfleury était convaincu que leParlement, qui avait jugé et condamné les plus grands seigneurs deFrance, et tenu tête au roi en maintes circonstances, devait êtreplacé au dessus du Régent, et lui dicter au besoin sesvolontés.

Le bonhomme retourna donc au Palais.

Là, il endossa sa robe, mit son rabat, secoiffa du bonnet carré et commanda les quatre massiers quiaccompagnaient les membres du Parlement dans les occasionssolennelles.

Toute la cohorte des plaideurs, des juges etdes avocats, en voyant ces préparatifs, demeura stupéfaite, et oncrut à quelque grand événement politique.

Mais Boisfleury avait calmé sa colère dans letrajet qu’il avait fait depuis le seuil du cabinet de M. lelieutenant de police, jusqu’à la grande salle, et il avait retrouvéce visage de sphynx [sic] devant lequel on tremblait, mêmeavec la conscience tranquille.

Personne, excepté le greffier qui avait déjàmis au net les notes prises par le barbier, ne sut ce dont ils’agissait.

M. Boisfleury prit le travail dugreffier, le fourra sous sa robe et monta dans la litièrefleurdelisée qui était à la disposition des membres du Parlement,donnant l’ordre qu’on le portât au Palais-Royal.

Cet ordre confirma de plus en plus tous ceuxqui l’entendirent dans cette opinion qu’il s’agissait d’unévénement politique, comme, par exemple, une conspiration semblableà celle de M. de Cellamare, l’ambassadeur du roid’Espagne et le complice des princes légitimés.

Trois quarts d’heure après, le présidentBoisfleury faisait, en grande pompe, son entrée au Palais-Royal etse faisait annoncer chez le Régent.

Philippe d’Orléans avait toujours témoigné àmessieurs du Parlement, qui avaient cassé le testament de Louis XIVet l’avaient proclamé régent, une grande déférence.

Bien que ce prince se couchât ordinairementfort tard il se levait de bonne heure, et, dès le matin,travaillait avec Dubois, son premier ministre. M. le présidentBoisfleury ne fit donc pas antichambre et fut introduitsur-le-champ dans son cabinet.

Les instincts du juge criminel et ses hautesfacultés d’observation permirent à M. Boisfleury de surprendreun geste et un regard d’inquiétude que le Régent et le cardinaléchangèrent en le voyant entrer.

– Monseigneur, dit-il, je viens dénoncerà Votre Altesse royale des faits d’une haute gravité.

– Parlez, monsieur le président, réponditle Régent avec cette dignité affectueuse qui ne l’abandonnaitjamais. À Dieu ne plaise que mon gouvernement soit jamais endésaccord avec la justice !

Ces paroles désarmèrent l’irritation subite deBoisfleury, qui pensa que le lieutenant de police avait rejeté surle Régent la responsabilité de sa propre conduite.

Et l’entêté magistrat se mit à débiter sonantienne, se servant des notes du barbier, et faisant suivre sonrécit d’une verte diatribe à l’endroit de M. le lieutenant depolice, lequel paraissait, disait-il, méconnaître l’autorité duParlement.

Le Régent l’écouta jusqu’au bout, sansl’interrompre, sans prononcer un mot.

Alors Boisfleury attendit.

– Monsieur le président, dit alors leprince avec calme, tout ce que le lieutenant de police vous a ditest parfaitement vrai.

Boisfleury fit un pas en arrière.

– Permettez, ajouta le Régent, quej’expédie une petite affaire pressante, et je vous donnerai ensuitel’explication de ma conduite.

Ce disant, il prit une plume et écrivit cesmots, qu’il mit sous les yeux du cardinal :

« Trouvez-moi le chevalier d’Esparron, ilfaut que je le voie aujourd’hui même. »

Dubois prit le papier et sortit.

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