La Femme immortelle

Chapitre 18

 

 

Il s’écoula plus d’une heure.

Le marquis de la Roche-Maubert attendaittoujours, penché en dehors de sa fenêtre et l’œil fixé sur la ruede l’Arbre-Sec.

La rue était maintenant déserte.

Quand ils avaient vu les lumières s’éteindreune à une dans l’auberge, les bons bourgeois que la curiosité avaitd’abord ameutés à la porte s’étaient éloignés un à un.

Les sergents de police en faisant leur rondeavaient balayé les retardataires.

Donc la rue était déserte et silencieuse, levieux marquis de la Roche-Maubert attendait le retour del’intendant, et, tout en attendant, le bonhomme songeait.

On le sait, sa tête était verte et sa cervellelégère, en dépit de la neige qui les recouvrait.

Ce nom de la rue de l’Hirondelle venait deplonger le marquis dans le vaste domaine des suppositions, et sonimagination jalouse l’emporta bientôt dans des sphèresfantastiques.

D’abord il revint à son rêve d’amour ;c’est à dire à cette femme qui triomphait de la mort, quiressuscitait au milieu des cendres d’un bûcher, et, plus belle,plus jeune que jamais, tournait la tête au chevalierd’Esparron.

Mais ce rêve qui lui fit oublier un moment lemargrave se compliqua tout à coup de ce nouveau personnage. C’est àdire qu’ayant entendu madame Edwige dire à son mari : Va-t’enrue de l’Hirondelle ! – le marquis ne douta pas un seul momentque ce fût ailleurs que chez la femme immortelle que l’intendantvêtu de rouge eût une mission à remplir.

Or quelle pouvait être cettemission ?

Le marquis devina ou crut deviner.

Le margrave venait à Paris pour se marier.

Il y avait, rue de l’Hirondelle, une femmemerveilleusement belle, et c’était à elle qu’il songeait.

La chose parut même si simple àM. de la Roche-Maubert, que, tout d’abord, il songea àmettre son épée sous son bras, à descendre à l’étage inférieur, àpénétrer chez le margrave, et à le tuer sans vergogne.

Cependant, un éclair de raison traversa soncerveau, juste à temps pour l’empêcher de donner suite à sesprojets insensés.

Il se souvint que le margrave avait assisté àl’exécution de la femme immortelle, et qu’il avait paru s’enréjouir, et que, par conséquent, en admettant qu’il eût conservédes relations avec cette créature qui se riait des flammes et de lamort, rien ne prouvait qu’il l’aimât et voulût l’épouser.

Donc, le marquis de la Roche-Maubert remit sonépée sous son traversin et alla se replacer à la fenêtre, attendanttoujours l’intendant.

Bientôt un bruit de pas se fit à l’entrée dela rue, du côté de la rivière.

La nuit était obscure, et le marquis eutd’abord quelque peine à reconnaître un homme qui s’avançait le nezdans son manteau.

Mais il y avait deux lanternes qui éclairaientla rue, et cet homme ayant passé sous l’une d’elles, le marquisn’eut plus de doute.

C’était bien l’intendant.

– Pourvu qu’il n’oublie pas lerendez-vous qu’il m’a donné ! pensa le bouillant marquis.

Il ferma la fenêtre, et il attendit.

Quelques minutes s’écoulèrent encore, puis onfrappa deux coups discrets à la porte.

M. de la Roche-Maubert courutouvrir.

– Est-ce vous ? dit-il tout bas.

– C’est moi, dit l’intendant.

– Attendez que je rallume une bougie.

– Oh ! non, c’est inutile, fit lebonhomme à voix basse. Edwige me croit encore dehors et je suismonté tout doucement.

Le marquis conclut de ces mots que l’intendantredoutait autant que le margrave la terrible madameEdwige :

– Comme vous voudrez, dit-il.

Et il avança un siège à l’intendant et s’assitlui-même sur le pied de son lit.

Une question bouillonnait dans la gorge deM. de la Roche-Maubert.

Il avait bien envie de dire àl’intendant : « Mais qu’êtes-vous donc allé faire rue del’Hirondelle ? »

Un sentiment de vulgaire prudence l’enempêcha.

– Sachons d’abord ce qu’il m’a promis deme raconter, pensa-t-il, nous verrons après.

Et, dominant son émotion jalouse, rendant à savoix le calme qu’il seyait à son âge, il dit àl’intendant :

– Ainsi donc, cher monsieur Conrad, vousavez des choses curieuses à me raconter ?

– Très curieuses, monsieur lemarquis.

– Touchant votre maître lemargrave ?

– Naturellement, mais, reprit Conrad enbaissant la voix, j’eusse hésité peut-être, malgré ma promesse, sije n’avais vu monseigneur reconnaître monsieur le marquis.

– Ah ! ah !

– Et si je ne l’avais entendu dire :« Je vous dois ma fortune. »

– Ah ! c’est juste, dit le marquis,il a dit cela.

– Certainement il l’a dit.

– Le margrave serait-il fou ou bien semoquait-il de moi ?

– Ni l’un, ni l’autre ?

– Comment ?

– Monseigneur a dit la pure vérité.

– Ah ! par exemple !

– C’est comme j’ai l’honneur de vous ledire.

– Mais…

– Il est impossible, reprit Conrad, quemonsieur le marquis manque de mémoire au point d’oublier certainesorcière qu’on brûla en place de Grève ?

– Certes non, je ne l’ai pas oubliée.

– Eh bien, c’est parce qu’on a brûlé lasorcière que mon maître est si riche.

– Ah ! bah !

– Et comme c’est sur la dénonciation demonsieur le marquis que la sorcière a été brûlée…

Un nuage passa sur le front du marquis.

– Ah ! vous savez aussi cela ?fit-il.

– Dam ! répondit l’intendant, sanscela, conterais-je mes petites affaires à monsieur lemarquis ?

– Eh bien ! continuez, je vousécoute.

Et le marquis essuya quelques gouttes de sueurqui perlaient à son front.

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