La Femme immortelle

Chapitre 30

 

 

Mais si terrible que fût cette reprised’armes, elle n’empêcha pas néanmoins les deux adversairesd’échanger quelques mots.

– Vous m’avez reconnu, disait le marquis,mais je vous ai reconnu aussi, moi. Vous êtes le chevalierd’Esparron, l’amant de la sorcière, du vampire qui fait de l’oravec du sang humain.

– En vérité, ricana l’homme au masque,vous savez trop de choses, marquis.

– Ah ! vous trouvez ?

– On dit que les enfants précoces viventpeu, poursuivit l’homme au masque, mais les vieillards qui ont tropde mémoire finissent mal.

– C’est ce que nous verrons bien, dit lemarquis avec rage.

Et son épée se tordait et sifflait comme unecouleuvre, cherchant toujours le chemin de la poitrine de sonadversaire, et rencontrant sans cesse le fer.

– Je ne m’étonne pas, disait encorecelui-ci, que vous ayez conservé des passions de jeune homme,marquis. Tudieu ! vous êtes une rude lame.

– J’espère bien vous tuer, vociféraM. de la Roche-Maubert qui perdait tout son sangfroid.

– Bon ! parlons-en…

– Et quand je vous aurai tué…

– Ah ! oui, quand vous m’aurez tué,que ferez-vous ?

– J’entrerai dans cette maison.

– Et puis ?

– Et puis je mettrai sur la gorge dubonhomme, avec qui je causais tout à l’heure, mon épée touteruisselante de sang, et il faudra bien qu’il parle.

– Que voudriez-vous donc qu’il vousdît ?

– Je veux qu’il m’indique le passagesouterrain qui mène chez Janine.

– La femme immortelle ?

– Oui.

– Vous y croyez donc ?

– Si j’y crois !… mais, vous aussi,vous y croyez.

– Peut-être…

– Puisque vous êtes son amant.

L’adversaire du marquis continuait à ricaner àtravers son masque.

– Mais, que lui voulez-vous donc, à cettefemme ? dit-il.

– Je veux la voir.

– Pourquoi ?

– Je l’aime.

– Encore ?

– Et je veux l’épouser.

– Marquis, vous êtes fou !…

– Que vous importe ?

Et M. de la Roche-Maubert pressaitde plus en plus son adversaire.

Mais celui-ci parait toujours et semblaitinvulnérable.

– Marquis, disait-il encore, vraiment àvotre âge, c’est de la pure folie. Vous n’avez plus vingt ans,comme au temps où vous dénonçâtes la pauvre sorcière qui vousaimait et la livrâtes au bûcher. Croyez-moi, entre la femme quevous cherchez et celle dont vous avez causé la mort, il n’y a aucunrapport.

– C’est la même ! hurla lemarquis.

– Soit, admettons-le. Mais alors, cettefemme ne vous aime plus.

– Oh !

– Elle vous hait même.

– Pourtant, reprit M. de laRoche-Maubert, je ne suis pas le plus coupable, moi.

Ces mots arrachèrent un cri d’étonnement àl’homme au masque.

– Vraiment ? dit-il.

– Non, celui qui a véritablement perduJanine c’est le prince margrave de Lansbourg-Nassau.

– Vous savez cela ?

– Oui.

– Ah ! ah ! vous savez bien deschoses.

– Je sais encore que le prince est àParis.

L’homme au masque tressaillit de nouveau.

– Et que ses gens, sinon lui, ont renouédes relations avec la rue de l’Hirondelle, acheva le marquis.

– Ah ! cette fois, vous en saveztrop, dit l’homme au masque, et changeant subitement de jeu,laissant la défensive pour l’attaque, il se mit tout à coup àpresser le marquis, le forçant à rompre et il le poussa ainsijusqu’au mur.

– Tant pis pour vous ! dit-il.

Et il allongea le bras, fit une feinte et sefendit.

Un cri échappa au marquis, sa main s’ouvrit etlaissa tomber son épée.

Puis il s’affaissa sur lui-même en rendant unegorgée de sang.

– Je crois que j’ai mon compte,dit-il.

Puis ses yeux se fermèrent, et il s’allongeasur le sol ensanglanté et ne bougea plus.

– Entêté ! murmura l’homme aumasque.

En même temps, il prit un petit siffletd’argent qu’il portait suspendu à son cou et l’approcha de seslèvres.

Au bruit, la porte de la maison s’ouvrit, ettrois hommes en sortirent.

Deux étaient vêtus comme des laquais, letroisième n’était autre que le bonhomme Guillaume Laurent.

Ce dernier fit un geste d’étonnementdouloureux en voyant le marquis baigné dans son sang.

– Comment, dit-il, le vieux fou étaitdonc resté là ?

– Oui. Et j’ai bien peur de l’avoirtué ; regarde.

Le bourgeois se pencha sur le marquis évanoui,dégrafa son pourpoint, déchira sa chemise et se mit à examiner lablessure au clair de lune.

– Est-il mort ? demanda l’homme aumasque.

– Non.

– Sa blessure est-ellemortelle ?

– Je ne crois pas.

– Tant pis ! Mieux vaudrait pour luipasser ainsi de vie à trépas.

Puis l’homme au masque se tourna vers les deuxlaquais.

– Prenez-le sur vos épaules, vous autres,leur dit-il, et emportez-le.

– En quel endroit ? demanda l’un deslaquais.

– Rue Saint-Jacques, à l’auberge duCheval rouan.

– Que dirons-nous ?

– Rien. Vous le laisserez à la porte.

Les deux hommes s’éloignèrent, emportant dansleurs bras le marquis évanoui, mais sur la blessure duquel, endéchirant son mouchoir, le bourgeois Guillaume Laurent avait poséun premier appareil pour empêcher le sang de couler.

Puis l’homme au masque poussa la porte et tousdeux disparurent dans les profondeurs de la maison mystérieuse.

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