La Femme immortelle

Chapitre 41

 

 

– Qu’est-ce que tout cela ? demandale margrave.

– Les papiers qui établissent qui tues.

– Mais d’où proviennent-ils ?

– Je vais te le dire :

« Tandis que je revenais à Paris, fière de manouvelle découverte, me berçant de l’espoir que tu m’aimeraisencore et que je pourrais te rendre cette jeunesse et cette beautéqui me tournèrent la tête autrefois et faillirent m’être sifunestes ; alors que je n’étais plus qu’à quelques lieues dela grande ville, mon carrosse s’arrêta dans une auberge située aubord de la route qui passait en pleine forêt de Sénart.

« Les voyageurs qui s’arrêtent là sont rares.Ce soir-là, il n’y avait qu’un petit gentilhomme de province, quis’en venait à Paris chercher fortune.

« Il avait vingt ans, il était joli garçon, etson œil noir se fixa sur moi avec un subit enthousiasme.

« À l’âge où il était, l’amour va vite.

« Il avait sollicité la faveur de souper à matable.

« Avant la fin du repas, il était à mes piedset disait qu’il m’aimait.

« Je fus insensible – je ne songeais qu’àtoi.

« Cependant, le lendemain, je lui permis de mesuivre.

« Le soir, nous entrâmes dans Paris, et nousvînmes ici tout droit, ce qui fait que personne ne l’a vu.

– Ah ! fit le margrave.

– Le pauvre garçon n’est plus sorti decette maison, qui devait être son tombeau.

– Comment ! il est mort ?

– Oui. Il s’est passé son épée au traversdu corps, dans un accès de désespoir amoureux, et il m’a laissépour unique héritage les papiers que voilà et qui sont, d’abord sonacte de baptême, pièce authentique s’il en fut ; une lettre derecommandation du gouverneur de sa province pour le capitaine desgardes de Sa Majesté, car son unique ambition était d’entrer dansla maison rouge, enfin une lettre pour sa sœur qui est mariée à unpauvre gentilhomme de son pays.

– Et il est mort ? dit lemargrave.

– Oui.

– Mais alors on a constaté sondécès ?

– Non. Je l’ai fait jeter de nuit à laSeine. Par conséquent le jour où, redevenu jeune, tu te présenteraschez le capitaine des gardes, tu obtiendras sans difficulté lacasaque de mousquetaire rêvée par le pauvre garçon.

Un sourire dédaigneux vint aux lèvres dumargrave.

– Le lendemain, poursuivit Janine, onouvrira le testament de feu le prince margrave de Lansbourg-Nassau,et, devenant ton propre héritier, tu renonceras à être mousquetairepour t’en aller prendre possession de ta principauté.

– Tout cela est fort bien, dit lemargrave qui attachait sur Janine un œil clair et investigateur.Mais…

– Mais quoi ?

– Qui me dit que tu ne me trompespas ?

Un rire dédaigneux vint aux lèvres de la femmeimmortelle.

– Ah ! tu te défies de moi,fit-elle. Eh bien, va-t-en alors, sois vieux, sois cassé etmeurs.

– Janine…

– Ah ! fourbe, reprit-elle, tripletraître, tu voudrais que je te rendisse ta jeunesse, que je tedonnasse l’immortalité pour me vendre encore après à des juges quime feraient monter de nouveau sur un bûcher. Va-t-en !va-t-en !

Et la colère qui brillait dans son regardbrûla les yeux du margrave.

Alors une nouvelle épouvante le prit et il seremit à genoux.

– Grâce ! dit-il.

– Non, va-t-en, répéta-t-elle.

Elle avait fait un signe aux deux négrillons,qui firent un pas de retraite comme pour éclairer le margrave et leramener par le même chemin.

Mais le margrave ne bougea.

Cet homme, qui n’avait de vieux que le corpset dont l’esprit avait conservé toute sa pénétrante activité,l’âme, toutes ses infernales inspirations, venait de faire enlui-même ce raisonnement :

– Janine est aussi jeune, aussi bellequ’il y a quarante années ; serait-elle réellementimmortelle ? et si elle me promet la jeunesse, c’est qu’ellem’aime encore, je ne risque donc rien à me dépouiller. Car, si jene redeviens pas jeune, si je continue à vivre courbé et cassé, jene dois rien à cet héritier imaginaire.

Et le margrave crut, une fois de plus, qu’iltrompait Janine, ses calculs reposant sur cette base que c’étaitbien à la sorcière brûlée il y avait quarante ans, qu’il avaitaffaire.

Alors il sut jouer le plus violentdésespoir ; il retrouva les accents les plus passionnés de lajeunesse, il parla d’amour comme un jouvenceau, et se précipitantvers la table, il écrivit d’une haleine, sans même lever la tête,ce singulier testament que lui demandait la femme immortelle, lesigna et y apposa son sceau.

Janine, penchée sur son épaule, avait lu àmesure qu’il écrivait, et un sourire de satisfaction passa sur seslèvres. Quand il lui tendit le testament, elle le prit, le glissadans son sein et lui dit :

– Eh bien, maintenant, je te crois,Fritz, et je vais continuer le traitement qui doit te rendre lajeunesse et te donner l’immortalité.

Il eut cependant un dernier accès dedéfiance :

– Vrai ? dit-il.

– Suis-moi, et retournons dans cettechambre où nous étions tout à l’heure.

Ils abandonnèrent le laboratoire que Janineferma soigneusement, et ils se remirent en route.

Mais vers le milieu de ce corridor qu’ilsavaient déjà suivi, le margrave s’arrêta tout à coup.

– Qu’as-tu ? lui dit Janine.

– Il me semble que j’ai entendu un bruitsourd.

– C’est celui de la rivière qui roule audessus de nos têtes.

– Non, ce n’est pas cela…

– Qu’as-tu donc entendu ? ditJanine.

Et elle eut un mystérieux sourire.

– Quelque chose comme des hurlements.

– Ah ! dit Janine, c’est monprisonnier.

– Quel prisonnier ?

Et à ce mot le margrave tressaillit.

– J’ai un prisonnier enchaîné, repritJanine, et c’est un homme de ta connaissance.

– Plaît-il ?

– On le nomme le marquis de laRoche-Maubert.

– Mais je l’ai vu il y a quinzejours ! exclama le margrave.

– Je ne dis pas non.

– Comment est-il devenu tonprisonnier ?

– Il a voulu se mêler de mesaffaires.

– Ah !

– Mais, dit encore Janine, veux-tu levoir ? c’est l’affaire de cinq minutes.

– Soit, répondit le margrave.

Alors dans le trousseau des clefs qui pendaità sa ceinture, Janine en choisit une et fit un signe aux deuxnégrillons.

Ceux-ci s’arrêtèrent devant une porte prisedans la voûte et que le margrave n’avait point remarquée enpassant.

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