La Femme immortelle

Chapitre 7

 

 

Madame Edwige s’était cramponnée au sergentcomme à une ancre de salut.

Elle lui avait dit vivement :

– Si vous pouvez prouver ce que vousdites-là, votre fortune est faite.

Mais cela ne lui suffit point ; elle luiglissa deux pistoles dans la main, comme arrhe de leur marché àvenir, et lui dit :

– Il doit bien y avoir par ici uncabaret ?

– Il y en a cinquante, répondit lesergent, qui était ferré sur la matière.

– Eh bien, allez boire un coup à masanté.

– Fort bien, dit le sergent, qui empochales deux pistoles sans plus de façon.

– Puis, continua madame Edwige, vousattendrez que tout ce monde, que je vais faire sortir de la cour etqui va encombrer la rue pendant quelque temps encore, se soitdissipé.

– Et puis ? fit le sergent.

– Et puis vous viendrez rôder auxalentours de l’hôtel, où vous trouverez ce petit homme vêtu derouge que vous voyez là.

Le sergent regarda maître Conrad et fit unsigne de tête affirmatif.

– Il vous frappera sur l’épaule et vousfera signe de la suivre.

– Je ne demande pas mieux, répondit lesergent, qui caressait du bout de ses doigts les deux pistolesqu’il avait fourrées dans sa poche.

Et il sortit de la cour.

Le sergent aux gardes françaises n’était autreque l’ancien sergent au régiment de Picardie qui avait été lepremier amour de Jeanne la Bayonnaise.

Seulement, il avait changé d’uniforme enchangeant de corps.

Peut-être en toute autre circonstancen’aurait-il ajouté qu’une foi médiocre aux promesses de madameEdwige et se fût-il en allé boire les deux pistoles sans songer àrevenir. Mais on redevient toujours un peu amoureux de la femmequ’on a abandonnée, quand on s’aperçoit qu’un autre la tient enhaute estime.

Le sergent qui se nommait Lafolie subit cetteimpression et il quitta madame Edwige en se promettant bien derevenir.

Les bourgeois timides s’étaient écartésrespectueusement devant cet homme, qui avait une longue épée quilui battait les mollets.

Il traversa donc la foule sans difficulté ets’en alla tout en face de l’hôtel du margrave, à côté de laboutique de Chaubourdin, s’attabler dans un cabaret qui avait pourenseigne : Aux fils de Mars et dans lequel lessoldats de service au Palais-Royal se donnaient ordinairementrendez-vous.

Placé tout auprès de la porte, il put voir,tout en sablant une bouteille de vieux vin de Bourgogne, les pageset les valets du margrave refouler à coups de plat d’épée, lesbourgeois hors de la cour.

Alors ceux-ci devant qui les portes s’étaientfermées s’attroupèrent dans la rue et les commentaires continuèrentà aller leur train.

Il était même assez probable que lesattroupements ne se fussent pas dissipés de sitôt et que pas mal debadauds eussent passé la nuit sous les fenêtres du margrave, si lesgens du guet ne fussent venus à passer.

Le couvre-feu était un peu tombé endésuétude ; mais le lieutenant de police, s’il ne s’inquiétaitguère de ce que les Parisiens pouvaient faire dans leurs maisons,ne voulait pas que la paix des rues fût troublée.

Les gens du guet parurent donc, et lesbourgeois s’évanouirent.

Chaubourdin lui-même, le loquace apothicaire,ferma sa boutique.

Alors le sergent, qui en était à sa deuxièmebouteille, jeta une demi-pistole sur la table et sortit ducabaret.

Un homme se promenait de long en large devantla porte de l’hôtel.

Le sergent Lafolie le reconnutsur-le-champ.

C’était maître Conrad.

Conrad avait reçu les instructions de madameEdwige, sa terrible épouse, et il vint droit au sergent.

– Est-ce vous, lui dit-il, à qui on adonné deux pistoles ?

– Oui, répondit Lafolie.

– Alors, suivez-moi.

Au lieu de rentrer dans l’hôtel par la grandeporte, Conrad fit passer le sergent par la rue des Bons-Enfants,ouvrit une porte basse au moyen d’une clef qu’il tira de sa poche,et tous deux se trouvèrent dans un corridor faiblement éclairé.

Madame Edwige s’y trouvait et paraissait lesattendre avec impatience.

Conrad lui dit en allemand :

– Mais, ma chère, que voulez-vous doncfaire de ce soudard ?

– Ce soudard est notre salut, réponditEdwige.

Elle prit le sergent par la main et luidit :

– Venez, vous êtes sur le chemin de lafortune.

En même temps, elle fit un signe impérieux àConrad qui demeura dans le corridor.

Au bout du corridor il y avait un petitescalier.

Madame Edwige tenait toujours le sergent parla main ; elle lui fit gravir ainsi une vingtaine de marches,s’arrêta un moment, poussa une porte et le sergent se trouva dansune petite chambre éclairée par une lampe suspendue au plafond.

Madame Edwige ferma la porte et lui ditalors :

– Voyons, êtes-vous bien sûr de ce quevous disiez, il y a une heure ?

– Parfaitement sûr, dit le sergent.

– Vous avez vu entrer cettefemme ?

– Parbleu !

C’est bien Jeanne la Bayonnaise, mes anciennesamours.

– Et son frère ?

– Elle n’a pas de frère. L’homme qui sedonne pour tel doit être autre chose.

– C’est égal, dit madame Edwige, avant demettre à exécution le projet que j’ai en tête, je veux que vous lavoyiez.

– Eh bien, vous verrez si elle ose ne pasme reconnaître, dit le sergent.

– Vous la verrez, mais elle ne vous verrapas.

Ce disant, madame Edwige se baissa dans uncoin de la salle, souleva le tapis qui recouvrait le parquet et lesergent put voir avec étonnement que le parquet était en verre etqu’on voyait une vive lumière passer au travers. Au dessous de lui,il y avait une salle splendidement illuminée, une table servie etautour de cette table trois convives, le margrave, le chevalier deCastirac et la Bayonnaise.

Celle-ci était à la droite du prince etsouriait en écoutant ses doux propos.

– Ventre de biche ! dit le sergent,c’est bien elle ! que je sois à l’instant changé enapothicaire, si je me trompe !

Madame Edwige laissa retomber le tapis.

– Eh bien, dit-elle, attendez ici… jereviendrai tout à l’heure, et je vous dirai ce qu’il y a àfaire.

En même temps, elle tira le cordon d’unesonnette.

Un valet parut aussitôt.

Il portait une petite table sur laquelle il yavait deux flacons de vieux vin, un pâté et une volaille.

– Vous pouvez souper tranquillement, ditmadame Edwige. Vous avez deux grandes heures devant vous.

Et elle se retira.

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