La Femme immortelle

Chapitre 41

 

 

Une pensée rapide comme un éclair avaittraversé le cerveau de ce fou qu’on appelait le marquis de laRoche-Maubert.

L’homme au masque, il n’en doutait pas,c’était le chevalier d’Esparron.

Le chevalier, c’était le nouvel amant de cellequ’il persistait à appeler Janine, et cet amant, elle l’adoraitsans doute.

Or, en dirigeant l’un de ses pistolets vers lapoitrine du chevalier, M. de la Roche-Maubert avait crufermement que la femme immortelle, épouvantée, allait tomber à sespieds et demander grâce.

Tout au contraire, elle se mit à rire, etl’homme au masque lui dit :

– Vous pouvez faire feu, marquis…

Un nuage passa sur le front deM. de la Roche-Maubert, ses yeux s’injectèrent de sang,et son doigt pressa fiévreusement la détente.

Le coup partit.

Un nouvel éclat de rire se fit entendre,tandis qu’une épaisse fumée blanche emplissait un moment lasalle.

Le marquis, hors de lui, fit feu une secondefois, et un autre éclat de rire lui répondit.

La fumée était si épaisse que d’abord il nevit rien ; mais ce fut l’affaire d’une minute.

La fumée se dissipa, et alors le marquis jetaun cri de stupeur.

La femme immortelle et le nain avaientdisparu.

Il ne resta plus là que l’homme au masque quiriait toujours.

Le marquis tira son épée et se rua surlui.

Mais l’homme au masque avait pareillement misflamberge au vent, et il se trouva sur la défensive.

– Ah ! misérable ! dit lemarquis, il me faut ton sang jusqu’à la dernière goutte.

– Et si vous le versez, vous saurez d’oùil vient, répondit son adversaire dont le masque tomba.

Le marquis ne s’était pas trompé, c’était bienle chevalier d’Esparron, avec qui il avait soupé chez le Régent,qui se trouvait devant lui.

– Vous voulez donc votre revanche avantde mourir ? disait le chevalier toujours calme etrailleur.

– C’est toi qui mourras ! réponditle marquis.

Et il attaqua son adversaire avec fureur.

Les deux épées se heurtaient, étincelaient, seheurtaient encore, et le chevalier, superbe de sang-froid,poursuivait la conversation :

– En vérité ! monsieur le marquis,vous ne seriez pas plus déraisonnable, disait-il, si vous n’aviezque vingt ans !

« Voyez ce que vous avez fait !… Un matinvous êtes pris, au fond de votre manoir, du désir de revoir Paris,vous vous faites prier à souper chez le Régent, vous y racontez unehistoire absurde ; vous calomniez une femme, vous ridiculisezun galant homme comme moi, qui ne demandais pas mieux que d’avoirdu respect pour vos cheveux blancs. Cela ne vous suffit pas. Quandon vous conseille de vous en retourner chez vous, de laisser dormirvos souvenirs de jeunesse, vous vous entêtez dans un amourimaginaire, vous bravez les ordres du Régent, vous méprisez lesconseils de vos amis…

– Je te tuerai comme un chien !hurla le marquis.

Et il se fendit à fond sur son adversaire.

Le chevalier esquiva le coup et l’épée dumarquis filant jusqu’au mur se heurta violemment et se brisa entrois morceaux.

Et comme le vieillard poussait un cri de ragesuprême, le chevalier lui porta la pointe de son épée au visagepour le tenir en respect.

– Une dernière fois, dit-il, laissez-moivous donner un conseil.

– Tue-moi, mais ne me raille pas,bandit ! s’écria le marquis.

– Je ne vous raille pas, monsieur. Tenez,regardez sur ce guéridon… Le gobelet qui contient le narcotique esttoujours là… Prenez-le et buvez !

– Jamais !

– Buvez ! dit une autre voixderrière le marquis.

Il se retourna brusquement et aperçut la femmeimmortelle, qui était au seuil d’une porte qui venait de s’ouvrirsans bruit.

Cette porte ouvrait sur ce corridor que lemarquis avait déjà parcouru.

– Ah ! c’est vous, dit-il,vous !

Et il s’élança vers elle.

Mais, légère comme une biche effarouchée, elleavait bondi en arrière et se trouvait maintenant dans lecorridor.

Le marquis oublia son adversaire, il oubliaqu’il était désarmé, il oublia tout.

Et, retrouvant ses jambes de vingt ans, ils’élança à la poursuite de la femme immortelle, qui fuyait devantlui dans cet interminable corridor.

– Puisque tu ne veux pas être ma femme,disait-il, tu n’en seras pas moins à moi !…

Et il la gagnait de vitesse, et le momentétait proche où il allait l’atteindre.

Tout à coup elle se retourna.

Son regard fut si flamboyant, si dominateur,qu’il s’arrêta un moment, comme fasciné.

– Marquis, lui dit-elle, une dernièrefois, voulez-vous vivre ?

– Je veux t’aimer, dit-il avec rage.

On entendit alors comme un soupir déchirantqui soulevait la poitrine de cette femme étrange.

– Eh bien, dit-elle, que votre volontés’accomplisse !

Et elle se mit à fuir de nouveau.

– Oh ! répéta le vieillard affolé,je finirai bien par t’atteindre… et si tu ne veux pas m’aimer… ehbien, je te tuerai !…

Soudain, la femme immortelle fit un dernierbond. On eût dit qu’elle franchissait quelque obstaclemystérieux.

Le marquis fit un pas encore…

Puis, tout à coup on entendit un cri terrible…un cri d’agonie suprême… puis rien !

Une trappe s’était ouverte sous les pieds duvieillard et le marquis de la Roche-Maubert venait d’être précipitédans les profondeurs ténébreuses d’un abîme inconnu.

** * *

Pâles, frémissants, face à face, la femmeimmortelle et le chevalier d’Esparron se regardaient.

– Oh ! c’est affreux !murmurait-elle.

– Il l’a voulu, répondit le chevalierd’une voix sourde.

– Eh bien ! murmura-t-elle, tandisqu’un sombre éclair jaillissait de ses grands yeux limpides, àl’œuvre maintenant ! c’est le margrave qu’il faut frapper.

– Au margrave ! répéta lechevalier.

Et il prit la main de la femme immortelle etla porta respectueusement à ses lèvres.

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