La Femme immortelle

Chapitre 40

 

 

Le margrave demeurait à genoux.

Janine, silencieuse et triste, leregardait.

– Pardonne-moi, répétait-il, jet’aime.

– Je ne te crois pas, dit-elleencore.

– Que veux-tu donc que je fasse pour tele prouver ?

Elle parut réfléchir encore. Puis, tout àcoup :

– Lève-toi, dit-elle, suis-moi.

Le margrave tout tremblant obéit.

Alors, Janine le prit par la main et l’emmenaà l’autre bout de la salle.

Là, elle frappa deux coups dans ses mains.

Aussitôt une portière se souleva et les deuxnégrillons que le margrave avait vus lors de son arrivée dans lamaison enchantée, se montrèrent, porteurs chacun d’un flambeau.

La draperie soulevée laissait voir un corridorqui paraissait suivre un plan incliné et qui était voûté comme lessouterrains de quelque donjon féodal. Sur un signe de Janine lesdeux négrillons se mirent en marche pour éclairer la route.

Et la femme immortelle tenant toujours lemargrave par la main les suivit.

– Mais où me conduis-tu ? demanda lemargrave.

– Viens toujours, répondit-elle, tuverras.

À mesure qu’ils marchaient, ses lointainssouvenirs se représentaient à l’esprit troublé du prince deLansbourg-Nassau.

– Il me semble, balbutia-t-il enfin, quej’ai déjà passé par ici.

Un bruit sourd se faisait entendre dansl’éloignement et comme au dessus de leurs têtes.

– C’est la Seine, dit-il encore.

Janine ne répondit pas.

Enfin, les négrillons s’arrêtèrent. Ilsétaient devant une porte fermée.

Janine prit une clef suspendue à sa ceintureet ouvrit cette porte.

Alors le margrave s’écria :

– Je me reconnais maintenant, voici lelaboratoire où nous avons travaillé si longtemps ensemble.

– Et où tu m’as trahie, répondit la femmeimmortelle.

Le margrave baissa la tête.

Ils étaient, en effet, au seuil d’une piècebizarre, sans fenêtres, sans autre issue apparente que cette portequi venait de s’ouvrir.

Des creusets, des cornues, des fioles de toutegrandeur encombraient cette salle, véritable laboratoired’alchimiste à la recherche de la pierre philosophale.

Dans un coin il y avait un immense coffre enfer dont les ferrures d’acier, taillées en pointe de diamant,étincelèrent au feu des flambeaux que portaient les négrillons.

– Voilà, dit Janine, le coffre-fort oùétaient enfermées mes richesses et que tu as dévalisé.

– Je me repens, dit humblement lemargrave.

Janine prit une seconde clef à sa ceinture etouvrit le coffre, après avoir tourné cette clef en sens inverseplusieurs fois.

Le coffre ouvert, le margrave vit qu’il étaitvide.

– Fritz, dit alors Janine, tu m’as volé,il faut me rendre ce que tu m’as pris.

Le margrave tressaillit, et la voix sordide del’avarice s’éveilla dans son âme avilie.

– Mais… balbutia-t-il, si tu doism’épouser… à quoi bon ?

– Non, dit Janine, je puis te rendre lajeunesse, je puis te faire immortel comme moi, mais c’est à lacondition que tu me prouveras par un sacrifice l’amour que tuprétends avoir pour moi.

– Hélas ! dit le margrave, j’aidissipé l’or que je t’ai pris.

– Tu me trompes, ou plutôt tu essaies envain de me tromper. Tu es avare, Fritz, et loin d’être pauvre commeton père, tu as au contraire doublé cette fortune dont le vol estla source première ; tu as racheté tes vastes domaines, teschâteaux, ta principauté. Tu es le plus riche seigneur del’Allemagne : il faut me rendre tout cela, Fritz.

– Mais je ne puis te le rendre qu’ent’épousant, fit encore le margrave.

– Non, tu te trompes, Fritz ;d’abord tu ne m’épouses pas. Je suis immortelle, et ceux qui sontau dessus de la mort sont au dessus des lois humaines.

– Mais je t’aime ! répéta lemargrave.

– Alors rends-moi ce que tu m’aspris.

– Mais comment ?

– Écoute, dit encore Janine. Tu es vieux,cassé, presque infirme, et tu ne venais à Paris, tu ne voulais t’ymarier que pour avoir un héritier à qui tu laisserais un jour tesgrands biens et tes trésors. Est-ce vrai ?

– Oui, dit encore le margrave.

– Eh bien, poursuivit Janine, suppose queje te rende ta jeunesse, qu’au lieu d’avoir soixante et dix ans, tun’en aies plus que vingt-cinq.

– Eh bien ? fit le margrave.

– Et que, quittant Paris, tu retournesdans ta principauté.

Le margrave ne savait encore où elle envoulait venir, et il la regardait avec une curiosité pleine dedéfiance.

– Après ? dit-il.

– Le plus intime de tes serviteursrefusera de te reconnaître. « Je suis votre maître, le princemargrave Fritz de Lansbourg-Nassau, » diras-tu ; on terépondra : « Vous êtes un imposteur ! »

– Oh ! fit le margrave aveceffroi.

– Ce qui peut t’arriver de plus heureuxalors, continua Janine, c’est qu’il se borne à t’expulser de tesdomaines, à moins qu’on ne t’enferme comme fou. Mais, comme il sepourra fort bien aussi que le vieux margrave ne se retrouve plus,on t’accusera d’être ton propre assassin ; tu peux être pendudans ta bonne ville de Lansbourg, en vertu des lois que tu astoi-même promulguées.

Un frisson parcourut tout le corps dumargrave.

– Maintenant, écoute-moi encore, repritJanine. Suppose que tu es à Paris, dans ton hôtel de la rueSaint-Honoré.

– Bon !

– Le bruit se répand que tu es trèsmalade ; puis, on dit que tu es mort. Tes serviteurs, tesvassaux, tes sujets prennent le deuil et attendent que l’ouverturede ton testament désigne ton successeur. Pendant ce temps, je t’airendu la jeunesse, la beauté, je t’ai fait immortel, et tu teprésentes un beau jour comme ton propre héritier.

– Cela serait donc possible !s’écria le margrave.

– Oui, si tu fais ce que je te dis.

– Parle donc, dit le margrave.

Janine le conduisit vers la table qui étaitencombrée de fioles et de cornues.

Sur l’un des coins, il y avait un parchemin,de la cire et un sceau que le margrave stupéfait reconnut pour êtrele sien.

– Assieds-toi là, prends cette plume,continua Janine et écris sous ma dictée. Tu vas faire tontestament.

– Mais en faveur de qui ? demanda lemargrave.

– En faveur de toi-même, répondit-elle.Seulement, il faut que tu changes de nom, et je t’ai trouvé uneidentité nouvelle.

En parlant ainsi, Janine tira de son sein unportefeuille qu’elle ouvrit et duquel s’échappèrent plusieurspapiers qui tombèrent sur la table.

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