La Femme immortelle

Chapitre 27

 

 

Ce bourgeois, qui marchait d’un pas lourd,s’arrêta à dix pas de distance, étonné sans doute de voir un hommeavec sa servante.

Voyant cela, le marquis le salua.

Alors le bourgeois s’avança de nouveau etreconnut qu’il avait affaire à un gentilhomme, car l’épée dumarquis retroussait légèrement son manteau.

– Monsieur Guillaume ? fit lemarquis d’un ton courtois.

– Oui, monseigneur, répondit lebourgeois, en s’inclinant presque jusqu’à terre.

C’était un homme entre deux âges, obèse,grisonnant, figure épaisse et joviale, front déprimé et dépourvud’intelligence.

– Monsieur Guillaume, reprit le marquis,je vous demande mille pardons de venir aussi tard mais j’aiabsolument besoin de causer avec vous quelques minutes.

Le bourgeois, ivre d’orgueil, fit une nouvellerévérence, et, s’effaçant devant sa porte, pour en laisser l’entréetoute grande :

– Monseigneur, dit-il, je suis tout àvotre service.

Puis il dit brusquement à laservante :

– Toi, Suzon, fais du feu dans la salle,allume les flambeaux. – Donnez-vous donc la peine d’entrer,monseigneur.

– Tout cela est fort bizarre, pensait lemarquis.

Et il entra.

Le bourgeois Guillaume ne cherchait pas même àdeviner ce que pouvait avoir à lui dire cet inconnu.

C’était un gentilhomme, un homme d’épée, quifaisait à un bourgeois l’honneur de le visiter. Cela suffisait.

Suzon, la servante aux cheveux rouges, se hâtad’allumer du feu dans une vaste salle qui se trouvait à la suite duvestibule.

En même temps, Guillaume allumait des bougieset les posait sur la cheminée.

À leur clarté, M. de laRoche-Maubert cherchait à se rendre un compte exact de ce qu’ilavait autour de lui.

Certes, rien n’était moins mystérieux quecette grande salle aux murs nus, aux meubles vulgaires, danslaquelle il se trouvait.

Et ce visage béat du bourgeois !

On pouvait jurer, à première vue, qu’iln’était ni le confident, ni le serviteur de la femmeimmortelle.

Le feu allumé, maître Guillaume renvoya Suzond’un geste impérieux.

Après quoi, il avança un siège au marquis.

Et, se tenant respectueusement debout devantlui :

– Monseigneur, dit-il, je suis à vosordres.

– Mais, asseyez-vous donc, monsieurGuillaume, fit le marquis avec la politesse d’un grandseigneur.

– En vérité, je n’oserais… balbutia lebourgeois.

– Et moi, dit M. de laRoche-Maubert, je ne saurais causer avec un homme qui se tientdebout.

Guillaume était vaincu. Il salua de nouveau ets’assit sur le bord d’une chaise.

Alors le marquis lui dit :

– Vous êtes donc retiré des affaires,monsieur Guillaume ?

Le bourgeois parut flatté de la question.

– Oui, monseigneur, répondit-il.

– Et vous avez fait une petitefortune ?

– J’ai de quoi vivre, répliquamodestement Guillaume.

Le marquis reprit :

– Ne vous étonnez pas, monsieurGuillaume, des questions que je vous adresse. J’ai été chargé devous voir par un grand seigneur de la Cour, qui est de vos amis etqui s’intéresse beaucoup à vous.

– En vérité ! exclama[4] le bourgeois de plus en plus flatté. Jesuis à vos ordres, monseigneur, répéta-t-il.

– Ainsi, poursuivit M. de laRoche-Maubert, qui continuait à promener un regard investigateurautour de lui, votre fortune faite, vous avez donc quitté la rueSaint-Denis ?

– Oui, monseigneur.

– Et vous êtes venu louer cettemaison ?

– Non pas, elle était à moi.

– Depuis longtemps ?

– Depuis plus de vingt ans,monseigneur.

– Et vous l’avez achetée sansrépugnance ?

– Mais dame ! fit naïvement lebourgeois, la rue est tranquille, habitée par de braves gens et lamaison est grande, bien bâtie et bien aérée.

– Cependant elle avait une mauvaiseréputation…

– Cette maison ?

– Oui. Comment ! Vous ne le saviezpas ?

Maître Guillaume stupéfait, regardait lemarquis.

– Il y a quarante ans, poursuivit lemarquis, elle appartenait à une sorcière.

– Je n’ai jamais entendu parler decela.

– Une sorcière qui a été brûlée…

Maître Guillaume frissonna.

– Je ne serais pas étonné, continuaM. de la Roche-Maubert, que la nuit vous n’entendissiezparfois des bruits étranges.

– Jamais je n’ai rien entendu,monseigneur.

Et maître Guillaume manifestait une vagueinquiétude en parlant ainsi.

– On dit même, reprit le marquis, quebien qu’on ait brûlé cette sorcière, elle n’est pas morte.

– Ah ! par exemple !

Et, cette fois, maître Guillaume eut un grosrire.

– Enfin, de qui tenez-vous cettemaison ?

– D’un vieux drapier qui est mort l’annéemême où il me l’a vendue.

– Et il ne vous a pas parlé de lasorcière ?

– Jamais.

– Vous avez dû cependant découvrir desportes secrètes, des souterrains…

– Absolument rien.

– Alors, dit le marquis s’enracinant deplus en plus dans sa conviction, c’est que vous n’avez pas biencherché, mon cher monsieur Guillaume.

– Mais, monseigneur, dit le bonhomme,savez-vous que tout ce que vous me dites là m’effraie ?

– Dame !

– Et dès demain je ferai une perquisitionminutieuse de la cave au grenier.

– Pourquoi pas tout de suite ?

Guillaume se reprit à frissonner.

– En pleine nuit ! dit-il.

– Avez-vous donc peur ?…

– Non… mais… pourtant…

Le marquis ouvrit son manteau et montra lagarde de son épée :

– Avec Finette, dit-il, je n’ai peur derien, moi ; et si vous le voulez, nous allons sonder lesmystères de votre maison.

– Comme il vous plaira, dit maîtreGuillaume, qui parut se rassurer un peu.

– Envoyez coucher votre servante, repritle marquis ; d’abord, nous n’avons pas besoin d’elle ; …ensuite, il est inutile d’effrayer cette pauvre fille.

– Oh ! sans doute, murmuraGuillaume, dont les dents claquaient de terreur.

Le marquis lui fit signe de prendre unflambeau.

– Par où commencerons-nous ?dit-il.

– Par où vous voudrez, monseigneur.

Et Guillaume s’agitait sur ses jambes.

– Alors, descendons tout de suite dansles caves, dit le marquis.

M. de la Roche-Maubert se souvenaitque Conrad l’intendant lui avait dit que le laboratoire mystérieuxde Janine était dans un souterrain.

Et il se disait :

– Je gage que ce souterrain existe encoreet que Janine s’y trouve, puisque l’intendant du margrave est venurue de l’Hirondelle, il y a deux jours…

Et M. de la Roche-Maubert, qui fûtallé au bout du monde pour retrouver la femme immortelle, sedirigea bravement vers la porte de la salle, suivi de Guillaume lebourgeois, qui avait l’air plus mort que vif.

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