La Femme immortelle

Chapitre 31

 

 

– Janine se remit donc à faire de l’or,reprit la jeune femme après un silence, et elle envoya sa sœur enItalie, accompagnée de sa vieille servante.

« Deux ans s’écoulèrent.

« Un matin, elle reçut des nouvelles de sasœur.

« Celle-ci avait retrouvé le fils d’ÉléonoreGaligaï, et ce dernier s’était épris de sa beauté. Ils s’étaientmariés, ils s’aimaient.

« Alors Janine pensa qu’elle avait assez d’oret de nouveau elle songea à parcourir le monde pour y chercher, nonplus le margrave, puisqu’il était mort, mais son fils.

« Elle fit tous ses préparatifs de départ,échangea ses lingots, qui furent trouvés de bon aloi par lesorfèvres, contre de l’or monnayé, et elle devait se mettre en routele lendemain, lorsque, dans le milieu de la nuit, sa mère luiapparut de nouveau.

« Janine s’éveilla en sursaut.

« Mais ce n’était plus un rêve, et sa mèreétait bien là au pied de son lit, la regardant, non plus avecsévérité, mais avec tristesse.

« Toutes ses blessures saignaient, et elleavait les yeux pleins de larmes.

« Janine lui tendit les bras.

« La morte posa un doigt sur ses lèvres et luidit :

« – Borne-toi à répondre à mes questions. Oùvas-tu ?

« – Chercher le fils du margrave.

« – Hélas ! dit la morte, tu n’as pasbesoin de quitter Paris pour cela.

« – Il y est donc !

« – Il y viendra.

« – Où le trouverai-je ?

« – Tu le rencontreras sur ton chemin.

« – Sans le chercher ?

« – Sans le chercher. Attends.

« Mais la morte pleurait toujours.

« Alors Janine lui dit :

« – Vous ai-je donc désobéi, ma mère, et vousaurais-je offensée ?

« – Pas encore, dit la morte.

« – Je désobéirai donc ?

« – Peut-être…

« – Oh ! c’est impossible.

« La morte poussa un soupir.

« – Bien que je ne sois plus qu’un pur esprit,dit-elle, je ne vois qu’imparfaitement dans l’avenir, mais ce quej’y vois m’épouvante.

« – Que voyez-vous donc, ma mère ?

« – Ton cœur trahira ta raison.

« – Ah ! fit Janine avec effroi.

« – Tu oublieras l’œuvre dont je t’aichargée…

« – Ma mère !

« – Et tu feras une fin misérable, parce quetu auras aimé…

« Janine jeta un cri. Elle voulut de nouveauquestionner le fantôme.

« Mais le fantôme ne parla pas.

« La robe tachée de sang s’effaça peu à peu etbientôt, au pied du lit, Janine ne vit plus qu’un léger nuage, unbrouillard qui s’évanouit, comme le premier rayon de soleil entraitdans sa chambre.

« Et Janine ne partit pas ; et esclave deson œuvre, elle se remit au travail, poursuivie par la sinistreprédiction de la morte.

« Et le temps s’écoula, et plusieurs annéess’écoulèrent encore. Mais elles passaient sur sa tête, grâce auxcosmétiques mystérieux de la vieille, sans creuser une ride à sonfront, sans ternir l’éclat de ses yeux.

« Elle était toujours jeune et belle.

« Un soir qu’elle cherchait dans une taverneun homme de bonne volonté qui voulût lui vendre une pinte de sang,elle rencontra un jeune et beau cavalier dont le regard labrûla.

« Ce cavalier avait bu sa dernière pistole,épuisé son dernier crédit, il n’avait plus ni feu, ni lieu, et ilconsentit à vendre son sang.

« Elle l’emmena chez elle.

« Alors il lui dit :

« – Je suis noble, très noble et je m’appellele prince de Lansbourg-Nassau.

« Et comme il disait cela, Janine sentit toutson sang affluer à son cœur.

« Elle avait devant elle le fils du margrave,l’homme qu’elle devait frapper.

« Un moment la lancette trembla dans sa mainet elle songea, au lieu de lui en piquer une veine, à la luiplonger dans le cœur.

« Mais le regard de cet homme la brûlait etelle jeta la lancette loin d’elle avec un geste d’horreur.

« Le lendemain, Janine était folle !

« Elle était folle d’amour et elle avait toutoublié, la vengeance, les prédictions de sa mère, et l’origineépouvantable de cet homme dont ses lèvres embrassaient lessiennes.

« Je t’ai raconté déjà cette dernièrehistoire, dit la jeune femme en s’interrompant.

– C’est vrai, répondit d’Esparron.

– À partir de ce moment-là,poursuivit-elle, Janine ne fut plus en communication avec l’espritde sa mère.

« La morte courroucée lui retira sa mainprotectrice.

« Mais le jour où, sur la dénonciation dumarquis de la Roche-Maubert, Janine fut arrêtée et plongée dans uncachot comme sorcière, il se passa une chose étrange.

« La sœur de Janine, qui vivait heureuse, enItalie, avec son mari, et qui n’avait jamais entendu de sa mère,vit apparaître cette dernière.

« – Ta sœur a été folle, lui dit-elle, ta sœura oublié tous ses devoirs ; elle a donné son cœur et son âmeau fils de mon meurtrier ; c’est à toi de continuer cetteœuvre de vengeance qu’elle a abandonnée.

« Et la sœur de Janine, docile, demanda aufantôme de sa mère ce qu’elle devait faire.

« – Va à Paris, ordonna la morte.

« Et la sœur de Janine partit en compagnie dela vieille servante bohême.

« Elle ne s’arrêta presque ni jour ni nuit,dormant à peine quelques heures, quand la fatigue triomphait de sonénergie morale.

« La dernière nuit de son voyage, elle couchadans une pauvre auberge de Villejuif.

« Pendant cette nuit-là, elle revit samère.

« La morte lui dit :

« – Demain Janine sera brûlée en place deGrève ; mais il ne faut pas que Janine meure ; Janine,c’est la femme immortelle.

« Et, comme elle ne comprenait pas, la mortelaissa tomber sur son lit un médaillon.

« Ce médaillon était le portrait deJanine.

« – Lève-toi, dit encore la morte,approche-toi de cette glace et regarde-toi, après avoir regardé lemédaillon.

« Il n’y avait pas de lumière dans la chambre,mais la morte était lumineuse et répandait autour d’elle une grandeclarté.

« La sœur de Janine s’approcha de la glace,elle regarda tour à tour le médaillon et son propre visage, et ellecomprit alors les paroles du fantôme…

« Les deux sœurs se ressemblaient comme lagoutte d’eau ressemble à la goutte d’eau…

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