La Femme immortelle

Chapitre 38

 

 

Lorsque le margrave rouvrit les yeux, il étaitseul.

Au lieu d’être couché tout vêtu, il étaitdéshabillé dans un excellent lit ; mais il ne reconnaissaitpas la chambre aux tentures représentant l’histoire de Janine, etil pensa qu’on l’avait transporté dans une autre pièce.

Que s’était-il passé ?

Le margrave était si faible qu’il n’en avaitqu’une idée confuse.

Cependant le nom de Janine vint à seslèvres.

Et comme il le prononçait, une porte s’ouvritet une personne que le prince margrave de Lansbourg-Nassau avaitcomplètement oubliée, entra.

Cette personne était madame Edwige.

– Ah ! dit-elle en s’approchant duprince, et d’un ton peu respectueux, quand vous vous mettez àdormir, vous dormez bien…

– Edwige ! murmurait le prince. Toiici ?

– Eh bien, sans doute. Est-ce que celavous étonne ?

– Mais…

– Ne suis-je pas venue avec vous, hiersoir ?

– C’est vrai… mais… où estJanine ?

Madame Edwige haussa les épaules :

– Voilà que vous perdez la tête,dit-elle.

– Oh ! non certes ! protesta lemargrave, dont les souvenirs s’éclaircirent.

– Janine est morte.

– Tu te trompes.

– Allons donc.

– Je l’ai vue… cette nuit… elle m’aparlé… elle m’aime toujours.

– En vérité ? ricana madame Edwigeavec un accent de raillerie.

– Elle m’a promis de me rendre lajeunesse et de me faire immortel comme elle.

– Monseigneur, dit froidement lagouvernante, je crains pour vous un transport au cerveau. Je vaisappeler votre médecin pour qu’il vous saigne sans retard.

Ce mot de saignée fit bondir le margrave.

– Elle m’a déjà assez tiré de sang commecela, dit-il.

– Qui donc ?

– Elle, Janine.

– Il est fou ! murmura madame Edwigeen levant les yeux au ciel.

Le margrave eut un accès de colère.

– Mais, coquine, dit-il, écoute-moi donc,et puis tu verras si je suis fou.

Madame Edwige s’assit alors dans le grandfauteuil qui se trouvait au chevet du lit de Son Altesse le princemargrave de Lansbourg-Nassau.

– Parlez, monseigneur, puisque tel estvotre bon plaisir, dit-elle avec un accent résigné.

Le margrave reprit :

– Où m’as-tu laissé ?

– Aux pieds de Fatma, ce miracle debeauté qui souffrait d’un vieux fou tel que vous, répondit madameEdwige avec humeur.

– C’était là précisément ce que jevoulais te faire dire.

– Eh bien ?

– Pendant que j’étais aux pieds de Fatma,poursuivit le margrave, que j’embrassais ses mains et que jem’enivrais de son sourire, la chambre s’est emplie tout à coupd’une vive lumière.

– Ah !

– Et Janine m’est apparue.

– Après ? fit madame Edwige d’un tonparfaitement incrédule.

– Alors je n’ai plus vu que Janine, etcomme je croyais qu’elle me demandait compte de sa mort, j’ai prismon épée et je me suis rué sur le fantôme.

– Bon !

– Mon épée s’est brisée.

– Continuez, dit la sceptiquegouvernante.

– Je me suis alors trouvé dansl’obscurité ; puis, à cette obscurité a succédé une lumièrenouvelle et alors je me suis vu dans une salle inconnue, dont lesmurs représentaient en peintures flamboyantes mon histoire et cellede Janine.

– Fort bien, dit encore madame Edwigeavec un rire moqueur.

– Je voyais Janine sur son bûcher.

– Naturellement.

– Et quand les flammes l’ont enveloppée,elle en est descendue.

– Sans se brûler ? ricana lagouvernante.

– Elle est venue à moi, elle s’est assiseau pied de mon lit…

– Vous étiez donc couché ?

– Oui, et je n’ai jamais pu m’expliquercomment cela s’était fait.

– Continuez, monseigneur.

– Alors Janine m’a dit qu’elle m’aimaittoujours, et que si je voulais l’aimer, elle me rendrait lajeunesse.

– Un joli cadeau, monseigneur !

– Et me donnerait l’immortalité.

– Peste !

– Tu railles, mais je dis vrai, fit lemargrave avec un accent de conviction profonde.

– Et quel moyen emploiera-t-elle pourcela ? demanda encore madame Edwige.

– Elle a commencé…

– Ah ! voyons.

– Elle est allée prendre une aiguière, eta découvert mon bras.

– Et puis ?

– Et puis elle m’a piquée avec uneépingle d’or et mon sang a coulé.

– Dans l’aiguière ?

– Oui, certes, et je me suis évanoui.

– Et puis encore ?

– Et puis, je ne sais plus ce qui estarrivé.

– Eh bien, répliqua froidement madameEdwige, je vais vous le dire.

– Toi ?

– Oui, moi, vous avez fumé de l’opiumhier soir et tout ce que vous me racontez là est un rêve.

– Ah ! par exemple !

– Demandez plutôt à la future princessede Lansbourg-Nassau, ajouta madame Edwige.

Comme elle disait cela, la porte se rouvrit etFatma, plus belle encore que la veille apparut sur le seuil.

– Prince, dit-elle, ce que madame Edwigedit est la vérité pure, vous vous êtes endormi sur le divan où vousétiez auprès de moi. C’est une trahison du hatchis.

– Et je n’ai pas vu Janine ?

– Mais non, dit la belle Turque en riant,puisqu’elle est morte depuis quarante ans et plus. Les morts nereviennent que dans votre imagination.

– Et cela, l’ai-je rêvé aussi ?s’écria le margrave.

Et il sortit du lit son bras gauche.

Son bras portait une légère piqûre.

Mais Fatma continua à sourire.

– Tenez, dit-elle, voilà le coupable.

Et elle tira de dessous le traversin du litl’épée du margrave.

Le prince jeta un cri.

Son épée qu’il avait brisée contre la murailleau travers du corps fluide de Janine, son épée était entière etparfaitement intacte.

Et il ne pouvait admettre qu’on eût substituéune épée neuve à celle qu’il prétendait avoir brisée.

C’était bien celle qu’il avait toujoursportée ; il la reconnaissait à la coquille, enrichie depierreries, et à la lame, qui portait quelques taches derouille.

– Et je parie, ajouta madame Edwige, quecette piqûre n’est pas la seule.

Elle ouvrit, à ces mots, la chemise dumargrave et lui montra trois autres piqûres espacées sur sapoitrine.

– Mais j’ai donc rêvé ! s’écria-t-ilabasourdi.

– Oui, répondit madame Edwige, et j’ai eule tort de placer sous votre traversin, comme à l’ordinaire, cetteépée qui a joué le rôle de l’épingle d’or de Janine. Mais je nesavais pas que le hatchis procurait de pareilleshallucinations.

– C’est à devenir fou ! murmurait lemargrave, regardant tour à tour la terrible madame Edwige et labelle Fatma qui avait traversé les mers pour lui offrir samain.

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