La Femme immortelle

Chapitre 26

 

 

Le marquis de la Roche-Maubert galopa le restede la nuit.

Au petit jour, il rentrait donc dans Paris parle même chemin qu’il avait suivi pour en sortir.

Comme il avait teint en noir ses moustaches etses cheveux blancs, qu’il avait fait disparaître ses rides sous lespâtes merveilleuses de Buffalo, sanglé sa taille un peu épaissedans un corset, et qu’il s’était donné une tournure tout à faitjuvénile, il aurait fort bien pu revenir aux environs duPalais-Royal, se trouver même face à face avec le Régent ou avecDubois que ni l’un ni l’autre ne l’eussent reconnu, et Simon leBorgne, l’hôtelier de la Pomme-d’Or,pas davantage.

Et cependant le prudent marquis, car il étaitprudent quoique fou, au lieu de prendre de nouveau le chemin de larue de l’Arbre-Sec, passa la Seine et gagna le pays Latin.

Au pays Latin, dans la rue Saint-Jacques, il yavait une hôtellerie qui avait bien son mérite.

Elle datait de près de deux cents ans, avaitété fameuse au temps des Valois, par un siège qu’elle soutint dansla nuit de la Saint-Barthélemy, et portait pour enseigne :

Au cheval rouan

Un bon roi Henri IV avait été, après coupplacé à califourchon sur ledit cheval, de manière à fixer un secondsouvenir historique.

Le Béarnais, encore roi de Navarre, y avaitlogé.

Ce fut donc vers le Cheval rouan quese dirigea le marquis de la Roche-Maubert.

Il y descendit, se donnant pour un gentilhommebeauceron qui venait à Paris pour une affaire importante, et cachasoigneusement son nom.

Puis, comme, en dépit de la tournure juvénilequ’il s’était donnée, il commençait à sentir le poids des années etavait perdu l’habitude des exercices violents, que d’ailleurs ilavait passé une nuit blanche, il se sentit assez fatigué pourdemander un lit sur-le-champ.

D’ailleurs le marquis revenant à Paris dans leseul but de retrouver la femme immortelle, savait bien qu’il nepourrait pas se livrer en plein jour à ses recherches, sanss’exposer à une série de petits dangers et d’obstacles.

– Je commencerai ce soir, s’était-ildit.

Par conséquent, il dormit toute la matinée etune partie de l’après-midi.

Il s’éveilla vers trois heures, ayant grandappétit.

Cependant, avant d’appeler l’hôte ou lesfilles d’auberge, il se livra à une petite peinture de sonvisage.

Il n’avait eu garde d’oublier les petits potset les flacons de parfumeur Buffalo, qu’il avait renfermés dansl’une des deux valises placées sur sa selle.

Cette jeunesse artificielle ainsi réparée, lemarquis descendit dans la salle commune de l’hôtellerie et se fitservir à dîner.

Il mangea et but en Normand robuste qu’ilétait, attendit patiemment la brune, et sortit en prévenantl’hôtelier que, sans doute, il rentrerait tard.

De la rue Saint-Jacques à la rue del’Hirondelle, il n’y avait que deux pas.

– Allons reconnaître la position, se ditle marquis.

Et il s’en alla d’un pas délibéré, d’un airconquérant, le nez dans son manteau, le feutre sur l’oreille, sonépée lui battant les mollets, avec un cliquetis vainqueur.

Cependant, lorsqu’il fut dans la rueGît-le-Cœur, ses souvenirs de quarante années le reprirent à lagorge, et il ne put se défendre d’un violent battement de cœur.

Il ralentit le pas, s’arrêta même plusieursfois, et ce ne fut que par une grande force de volonté qu’ilcontinua à avancer.

La rue de l’Hirondelle, étroite, obscure, lamême, enfin, que quarante années auparavant, était silencieuse etpaisible comme toujours.

Deux enfants jouaient au seuil d’uneporte ; un drapier était assis sur le pas de la sienne, etc’était tout.

Il n’y avait encore de lumière nulle part, etcette clarté crépusculaire qu’on appelle entre chien etloup suffisait aux bons bourgeois du quartier.

Le marquis était ému, mais ses souvenirs luirevenaient un à un avec une netteté parfaite.

Il était venu bien souvent, à l’époque duprocès de Janine voir extérieurement la maison de la femme vampire,car cette maison avait, alors, été fermée par la police. Cettemaison était située à gauche, vers le milieu de la rue.

Le marquis la reconnut.

Pourtant elle n’avait rien de mystérieux sousson aspect.

Les fenêtres étaient ouvertes et la porteentrebâillée.

Une jeune fille était assise sur le seuil, ettricotait un bas de laine blanc, profitant des dernières lueurs ducrépuscule.

Cette jeune fille n’était ni belle ni laide,avait des cheveux rouges et était vêtue comme une servante.

Avec la meilleure volonté du monde, il étaitimpossible de voir en elle le moindre suppôt de Satan, et dans lamaison dont elle gardait l’entrée autre chose que la demeure dequelque bourgeois paisible.

– Je ne me trompe pourtant pas, se disaitle marquis de la Roche-Maubert. C’est bien là…

Il passa et repassa deux ou trois fois devantla maison, comme s’il eût espéré saisir quelque indice mystérieux,quelque lueur fugitive errant derrière les fenêtres, entendrequelque bruit insolite et approprié à la maison d’une sorcière oud’un sorcier.

Rien de tout cela !

Alors le marquis se décida à aborder la jeunefille, qui leva sur lui de grands yeux étonnés.

– Ma belle enfant, dit-il, à qui doncappartient cette maison ?

– À mon maître, monsieur,répondit-elle.

– Et comment se nomme-t-il, votremaître ?

– Guillaume Laurent.

– Quelle est sa profession ?

– Il était mercier, rue Saint-Denis, maisil a gagné de quoi vivre et il ne fait plus rien.

– Y a-t-il longtemps qu’il habite cettemaison ?

– Oh ! oui, monsieur.

Une inspiration traversa la cervelle dumarquis.

– Oui, oui, ma belle enfant, dit-il,Guillaume Laurent, c’est bien le nom que je cherchais.

– Vous connaissez mon maître ?

– Non, mais je suis chargé d’un petitmessage pour lui.

Le marquis voulait, à tout prix, pénétrer dansla maison, et c’était pour cela qu’il faisait ce petitmensonge.

En même temps il enjamba la marche duseuil.

– Mais, monsieur, dit la fille auxcheveux rouges en se levant, mon maître n’est pas à la maison.

– Où est-il donc ?

– Chaque soir, il passe l’eau après sonsouper, et va se promener sur la place du Châtelet où il y a uncabaret dans lequel il rencontre de vieux amis.

– Eh bien, dit le marquis insistant pourentrer, je vais l’attendre.

– Ma foi, monsieur, dit la servante, vousne l’attendrez pas longtemps, car le voilà.

En effet, un gros homme qui marchait d’un paspesant, apparut en ce moment au coin de la rue.

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