La Femme immortelle

Chapitre 6

 

 

Cependant, madame Edwige fit bonne contenance,en présence de ce sacripant qui paraissait disposé à tout briser età pourfendre tout.

– Mon gentilhomme, dit-elle, l’énigme estfacile à déchiffrer, je vous jure.

– Voyons ?

– Vous voyez cette glace ?

– Parbleu !

– Elle est sans tain, et le prince estderrière, dans une demi-obscurité, ce qui lui permet de voir sansêtre vu.

– Fort bien !

– Si le prince ne prise pas à sa justevaleur la merveilleuse beauté de mademoiselle votre sœur, ilfrappera trois petits coups à la glace.

– Et alors ?

– Alors, vous vous en irez, dit madameEdwige, à mon compte.

S’il n’en frappe que deux, vous passerez dansune autre pièce, et… alors…

Tandis que madame Edwige parlait, le chevaliers’était approché de la glace sans tain et l’examinaitcurieusement.

En même temps, la Bayonnaise, sûre de sabeauté, s’était placée en pleine lumière.

Le margrave ne se hâtait pas de frapper lestrois coups, et madame Edwige était sur les épines…

La glace magique avait-elle donc perdu savertu ?

Mais soudain elle entendit un petit bruit sec,suivi d’un craquement.

En même temps un cri d’admiration retentit del’autre côté de la cloison.

Le chevalier avait un diamant au doigt. Avecce diamant il avait décrit une circonférence sur la glace, aussihabilement qu’aurait pu le faire un voleur de profession.

Et la glace découpée s’était détachée soudain,et tout aussitôt le margrave, stupéfait, avait pu voir Jeanne laBayonnaise, non plus défigurée, mais telle qu’elle était, etc’était lui qui avait poussé cette exclamation de naïveadmiration.

– Monseigneur ! cria alors leGascon, tandis que madame Edwige laissait échapper un geste defureur, vous le voyez, on vous trompait…

Le margrave avait ouvert la porte querecouvrait une draperie, et il entra dans le petit salon,murmurant :

– Oh ! qu’elle est belle !

– Et sage, dit audacieusement lechevalier.

– Maudit Gascon ! exclama madameEdwige.

Le chevalier était en veine dehardiesse ; il prit un air hautain et protecteur avec madameEdwige :

– Mais laissez-nous donc, respectablematrone, dit-il, ne voyez-vous pas que le prince désire causer avecnous ?

Mais madame Edwige ne bougea.

Elle avait lancé au margrave un de ces regardsqui le terrassaient.

– Laissez, monsieur, dit le margrave,cette bonne Edwige est la femme de mon intendant, et je n’ai pas desecrets pour elle.

– C’est pour cela qu’elle vous trompaitsans doute, dit le chevalier.

Le margrave n’avait garde de se mettre encolère.

– Mais non… je ne sais pas…balbutia-t-il, tout ce que je puis vous dire, c’est quemademoiselle est fort belle… plus belle qu’aucune des femmes quej’ai vues…

Puis regardant le Gascon :

– C’est votre sœur ?

– Ma sœur, mademoiselle Jeanne deCastirac, dit le chevalier avec aplomb.

Le margrave couvrait la jeune fille d’unregard ardent de convoitise.

– Eh bien, dit madame Edwige qui ne setenait pas pour battue, je vais conduire mademoiselle dans le grandsalon ; et monseigneur pourra voir ensuite les autrespersonnes…

– Non, dit le margrave, c’est inutile…mademoiselle est si belle… qu’elle ne pourrait avoir de rivale…

– Alors, dit le chevalier, qui aimait àaller vite en besogne, vous épousez ?

– J’épouserai, dit le margrave…cependant…

– Ah ! prenez garde ! dit leGascon dont l’audace allait croissant, les Castirac sont comme lesRohan et les Crécy, ils ne daignent être ni princes, ni ducs, maisils sont nobles depuis Clovis, et leur manquer de parole seraitoffenser Dieu lui-même, qui les a toujours traités de cousins.

Cette gasconnade amena un sourire sur leslèvres du prince margrave.

– Parlons, dit-il, je ne promets jamaissans tenir religieusement ma promesse. Cependant je demandevingt-quatre heures de réflexion, mais, pendant ces vingt-quatreheures vous resterez ici…

– Après ? dit le chevalier.

– Avec mademoiselle votre sœur et vousserez traités avec distinction, je vous demanderai même la faveurde manger à ma table… et…

– Cela nous suffit, dit le Gascon quiavait une foi aveugle dans les perfections physiques de Jeanne laBayonnaise.

– Alors, monseigneur, dit madame Edwige,il est inutile que je fasse désormais entrer personne ?

– Tout à fait inutile.

– Dans ce cas, fit la terrible matrone,je vais donner l’ordre à Conrad de faire fermer les portes.

Et madame Edwige sortit furieuse.

Conrad, qui se tenait à la porte, devinaitqu’il avait dû se passer quelque chose d’extraordinaire dans lepetit salon.

Quand il vit paraître madame Edwige, pâle decolère et les yeux enflammés, il eut comme une envie de prendre lafuite.

Mais elle vint droit à lui.

– Annonce, dit-elle, que le prince a faitson choix.

– Allons, bon ! murmura Conrad.

– C’est la vérité !

Et madame Edwige, lui parlant allemand afinque personne ne pût les comprendre, lui raconta le trait d’audaceinouïe du Gascon et ce qui s’en était suivi.

– Mais, alors, tout est perdu, ditl’intendant.

– Je ne sais pas…

– Et Janine…

– Silence !

Les gens qui encombraient la cour serépétaient de bouche en bouche que le prince avait fait sonchoix.

– C’est cette belle fille qui est entréeavec le Gascon, disait Chaubourdin qui avait quitté sa boutiquepour la cour de l’hôtel.

– Sa maîtresse, dit un autre.

– Sa sœur, fit une commère duquartier.

– Ah ! vous me la baillezbelle ! s’écria une voix mâle et railleuse.

Et on remarqua alors un sergent des gardesfrançaises qui tortillait sa moustache et disait :

– Jeanne la Bayonnaise n’a pas de frère,c’est une gourgandine !

– Qu’en savez-vous ? demandaChaubourdin.

– Parbleu ! répondit le sergent,elle m’a aimé pendant trois mois… et je ne suis pas le seul…

À ces paroles qui parvinrent jusqu’à elle,madame Edwige jeta un cri de joie…

Puis elle s’élança vers le sergent, comme lenaufragé se dirige en toute hâte vers le rocher qui doit être sonsalut.

Et lui prenant le bras :

– Est-ce vrai ce que vous dites-là ?fit-elle.

– Pardieu ! si c’est vrai !

– Pourriez-vous le prouver ?

– Aussi facilement que je tirerais monépée du fourreau.

– Eh bien, dit madame Edwige avec unaccent de triomphe, s’il en est ainsi, je vous jure que votrefortune est faite !…

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