La Femme immortelle

Chapitre 17

 

 

Les mystificateurs se trouvaientmystifiés.

Le dormeur dépenaillé avait de l’or dans sespoches et les porteurs de chaise ne l’avaient point soupçonné.

Quand ils auraient pu tranquillement ledépouiller, ils avaient préféré le transporter chez le présidentBoisfleury, à la seule fin de troubler le sommeil de celui-ci et dese venger de son avarice.

Et voici qu’une nouvelle gratificationdérisoire venait les faire repentir de leur belle conduite.

Mais le président Boisfleury ne fit nulleattention à leur déconvenue.

Tout au contraire, il continua à les féliciterde leur bonne pensée, les avertit qu’ils seraient peut-être obligésde venir déposer en justice et les poussa tout doucement de lasalle où il gardait le Gascon endormi, dans le vestibule, et duvestibule vers la porte.

Les deux porteurs étaient si penauds qu’ils selaissèrent éconduire sans résistance.

Alors le président Boisfleury revint auprès dudormeur.

Il essaya de nouveau de lui faire respirer duvinaigre et de le réveiller, mais il reconnut que la chose étaitimpossible.

Le dormeur était sous l’influence d’unnarcotique, le président le vit bien, et le moyen d’en briser lecharme était inconnu à l’homme de justice.

Néanmoins, le courageux magistrat avait gardécet étrange prisonnier.

Au lieu de remonter lui-même dans sa chambre,il s’installa dans un fauteuil auprès du lit, laissa la chandelleallumée et attendit.

Or, en attendant que le chevalier s’éveillât,le président s’endormit et le grand jour pénétrait dans la chambrelorsqu’il rouvrit les yeux.

Le Gascon n’avait même pas changé d’attitude,et sa léthargie continuait.

Alors le président courut ouvrir la porte etcria :

– Marianne ! Marianne !

C’était le nom de sa vieille gouvernante.

La bonne femme, qui se livrait à sesoccupations ordinaires de servante unique, et balayait en ce momentl’escalier, descendit à l’appel de son maître.

Celui-ci était rentré dans la chambre oùdormait le Gascon.

– Jésus-Dieu ! s’écria la vieille eny entrant sur les pas du président, qu’est-ce que cela,seigneur ? Un homme ici !… Quelque voleur peut-être…

– Chut ! dit le président. Au lieude pousser des exclamations, écoute-moi et apprête-toi à exécutermes ordres.

Marianne levait les bras et les yeux auciel.

– Tu connais le barbier Révol ? ditle président.

– Oui, monsieur, répondit Marianne. C’estlui qui est venu me saigner l’an dernier.

– Précisément. Il demeure rueSaint-Honoré, tout auprès d’un apothicaire.

– C’est bien cela, dit Marianne.

– Tu vas courir chez lui.

– Mais… cet homme… il est doncmort ?

Le président jugea inutile de donner desexplications à sa servante, et il ajouta :

– Et tu lui diras de venir ici en toutehâte et d’apporter sa lancette.

– Et vous allez rester seul… avec…

– Mais va donc ! fit le présidentavec impatience.

La servante ne fit plus d’objection.

Il n’y a pas loin, comme on sait, de la rue dela Vrillière à la rue Saint-Honoré, et M. Boisfleury calculaque dans moins d’un quart d’heure, Marianne pourrait être deretour, accompagnée du barbier-chirurgien.

Ce qu’il attendait de ce dernier, on l’adeviné sans doute, c’était le moyen de réveiller cet obstinédormeur dans la personne de qui le zélé magistrat s’obstinait àvoir un grand et mystérieux coupable.

Depuis trente années qu’il était jugecriminel, M. le président Boisfleury n’avait jamais tremblédevant les scélérats.

Par conséquent il ne fit même pas cetteréflexion qu’il se trouvait seul avec un homme qu’il pensait êtreun bandit, que cet homme pouvait s’éveiller brusquement, se servirde l’épée qu’il avait au côté et tout au moins, s’il ne faisaitpis, reconquérir sa liberté.

Mais, en revanche, persuadé que le barbierallait tirer cet homme de sa léthargie, et que dès lors, lui,Boisfleury, aurait à commencer son instruction sur-le-champ, ilalla revêtir sa robe rouge, se coiffa de son bonnet carré, revints’asseoir auprès du lit et dans cette imposante attitude attenditl’arrivée du chirurgien.

Le barbier Révol ne tarda pas à arriver.

Marianne, qui était bavarde, lui avait apprisdurant le chemin, qu’elle avait trouvé son maître en présence d’unhomme si bien endormi qu’on aurait pu le croire mort.

Comment cet homme se trouvait-il chez leprésident ?

Voilà ce que la vieille servante ne savait paset qu’elle aurait voulu savoir, et ce que le barbier brûlaitd’apprendre lui-même, en franchissant le seuil de la maison duprésident.

À cette époque, on le sait, le chirurgienétait barbier ; il saignait les malades et rasait les gensbien portants.

Il avait un cabinet de consultations et uneboutique dans laquelle les pratiques en bonne santé bavardaienttout à leur aise en attendant le moment de tendre leur joue à sasavonnette.

Le barbier était donc bavard et curieux et ilse promettait déjà d’avoir quelques bons récits extraordinaires àfaire à ses clients, lorsqu’il vit le président vêtu de sa roberouge et dans l’attitude sévère d’un juge en exercice.

Le président Boisfleury était une véritablelégende.

Tout le quartier connaissait son avarice etles bourgeois qui le voyaient passer, marchant sur la pointe dupied, pour ne se point crotter, riaient volontiers.

Mais personne ne s’était jamais moqué de luiquand il était sur son siège et sa robe inspirait une salutaireterreur.

Aussi maître Révol devint-il tout tremblant,et tout en regardant l’homme endormi avec curiosité, attendit-ilsilencieusement les ordres de M. Boisfleury.

– Regardez cet homme, dit celui-ci.

Le barbier se pencha sur le Gascon, l’examinaet dit :

– Il dort.

– Éveillez-le.

Le barbier secoua le Gascon qui continua àronfler.

– Vous voyez bien, dit le président, queson sommeil n’est pas naturel.

– Assurément non, dit le barbier, il esten léthargie.

– Y a-t-il un moyen de leréveiller ?

– Il y en a plusieurs.

– Alors, dit le président, servez-vous duplus prompt et mettez-vous à l’œuvre.

– Je vais le saigner.

Et maître Révol prit sa lancette et retroussala manche gauche du chevalier.

Le président Boisfleury demeuraitimpassible.

Le coup de lancette donné, le sang duchevalier de Castirac jaillit tout à coup, le dormeur fit unbrusque mouvement.

Ses lèvres serrées s’entr’ouvrirent etlaissèrent passer un cri.

Enfin, il ouvrit les yeux.

– Sandis ! s’écria-t-il, où suis-jedonc ?

Il vit son sang qui coulait, et, jetant unnouveau cri, il dégringola à bas du lit et sauta sur son épée qu’ilavait toujours au côté.

Mais alors il vit le président en roberouge.

Or, cela a été et sera de tout temps : larobe d’un magistrat inspirera plus de terreur que le sabre d’unsoldat.

Les gens d’épée ont toujours eu peur des gensde robe, et le chevalier laissa son épée au fourreau etbalbutia :

– Où suis-je donc ?

– Chez un homme qui juge les criminels,répondit le président Boisfleury.

Et il fit un signe au barbier, qui se mit endevoir d’arrêter le sang qui coulait du bras de M. lechevalier de Castirac.

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