La Femme immortelle

Chapitre 7

 

 

Depuis quarante-huit heures le margrave étaitsans connaissance.

Son corps avait la rigidité d’un cadavre etses yeux étaient clos.

Cependant il vivait.

Et non seulement il vivait, mais ilentendait.

Le mystérieux breuvage que lui avait faitprendre Janine, avait, en paralysant ses autres sens, laissé intactle sens de l’ouïe et il l’avait même développé.

Il était couché sur son lit et de deux heuresen deux heures, Janine lui piquait le bras avec son épingle d’or,et il pouvait entendre son sang tomber bruyamment dans l’aiguièreque tenait un des négrillons.

Et tandis que son sang coulait, Janine luidisait :

– Je veux que tu te vois mourir,misérable ! je veux que ta vie s’en aille lentement et que tusentes ton dernier souffle monter de ton cœur à tes lèvres.

« Puis, écoute bien ce qui nous arrivera, auchevalier, que j’adore, et à moi :

« Quand tu seras tout à fait mort, on tetransportera dans ton hôtel, et des médecins affirmeront que tu assuccombé à une maladie dont tu étais attaqué depuis longtemps.

« On te fera de belles funérailles, et tuseras royalement enterré.

« Puis on ouvrira le testament par lequel tuinstitues ton héritier le chevalier d’Esparron.

« Alors le chevalier et moi nous nousmarierons, et nous irons vivre en Allemagne, dans ta principautédevenue notre domaine, et nous te ferons dire des messes ; –messes inutiles, car ton âme appartient à Satan, et il ne la rendrapas !

Et Janine riait en parlant ainsi.

En même temps, elle posait un appareil sur lebras du margrave pour arrêter l’effusion du sang.

Le chevalier hochait tristement latête :

– Janine, Janine, disait-il, cet hommeest assez puni ; mieux vaudrait en finir tout de suite.

– Non, non, répondit-elle, nous avonsencore cinq jours devant nous. Le Régent nous protège.

– Janine, dit encore le chevalier, j’aide sombres pressentiments.

– Quelle folie !

– Le Régent nous protège, mais leprésident Boisfleury a juré notre perte, cette maison estcernée.

– Tu sais que lorsque les gens de policey pénétreront, nous serons partis, répliqua Janine.

Mais comme elle parlait ainsi, un bruit se fitau dehors, la porte de la chambre s’ouvrit précipitamment, etGuillaume entra tout effaré.

– Qu’est-ce ? dit Janine.

– Que veux-tu ? dit lechevalier.

– Nous sommes perdus ! réponditGuillaume.

– Perdus !

– Oui, le marquis s’est échappé.

– C’est impossible ! s’écriaJanine.

– C’est vrai, il n’est plus dans la cage.Venez, venez voir…

Guillaume avait un flambeau à la main et ilavait ouvert une porte qui donnait sur l’escalier souterrain.

Janine et d’Esparron s’y engouffrèrent sur sespas.

Guillaume avait dit vrai ; le marquisn’était plus dans la cage et il était facile de voir par où ilavait pris la fuite.

– Eh bien, dit Janine, qu’importe !le Régent nous a promis de ne pas laisser pénétrer dans la maisonavant le jour fixé.

Et elle remonta dans la chambre où gisaittoujours le margrave.

Mais là il y avait deux autres personnes nonmoins bouleversées, madame Edwige et la jeune fille qui avait jouéle rôle de la princesse orientale.

– On pénètre dans la maison, disaitmadame Edwige ; entendez-vous ?

En effet, un bruit sourd retentissait audessus de leurs têtes, et il était facile de comprendre que lamaison était envahie, dans les étages supérieurs, par une trouped’hommes qui, ne trouvant pas le passage secret de la cheminée,s’étaient mis à effondrer les planchers à coups de hache.

D’Esparron avait tiré son épée et il s’étaitplacé devant Janine.

Mais Janine, tout entière à sa vengeance,s’écria :

– Du moins, ils n’auront pas le margravevivant !

Et elle arracha le bandage et le sangrecommença à couler.

En même temps, avec son épingle, elle piquadeux autres veines.

Le bruit des coups de hache devenait plusdistinct.

Madame Edwige et la jeune fille, folles deterreur, étaient tombées à genoux.

Le chevalier et Guillaume s’étaient placésdevant Janine pour la défendre.

Quant à la femme immortelle, elle regardaitavec une sombre joie le sang du margrave qui coulait.

Tout à coup la voûte de la salle trembla et unlarge panneau de boiserie vola en éclats.

En même temps une troupe d’hommes armés fitirruption dans la salle.

À leur tête marchait Porion.

– Au nom du roi ! dit-il, arrêteztous ces misérables.

Un homme dont les petits yeux pétillaientd’une joie féroce était aux côtés de Porion, le vil agent depolice.

Cet homme, on le devine, n’était autre que leprésident Boisfleury.

– Ce sera une belle cause criminelle,disait-il.

Le chevalier se rua, l’épée à la main, sur lesassaillants, mais il reçut dix coups de poignard et tomba encriant :

– Le Régent me vengera !

– Le Régent est mort, répondit Porion, etnous sommes ici en vertu d’un ordre de monseigneur le duc deBourbon premier ministre !…

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