La Femme immortelle

Chapitre 7

 

 

Quand les femmes ne jouent pas le rôle de ladiscorde, elles veulent absolument jouer celui de laconciliation.

Ce fut madame de Sabran qui rétablit la paix,en disant au chevalier :

– Mais continuez donc, mon cherd’Esparron, nous vous écoutons.

Le chevalier reprit :

– La femme que j’aime n’a rien demystérieux. Elle est jeune, elle est belle, elle est riche, elleest veuve, et nous devons nous marier. Peut-être a-t-elle trempéquelquefois ses lèvres dans un verre de vin d’Aï, mais elle n’ajamais bu de sang humain.

– Ainsi, dit le régent, tu ne t’es pasendormi chez la Niolle ?

– Non, monseigneur.

– Pourquoi donc la Niolle, soumise à laquestion, a-t-elle dit le contraire ?

– Voilà ce que j’ignore.

– Et pourquoi, depuis trois mois, ne nousas-tu pas donné signe de vie ?

– Mais parce que les amoureux perdent latête ; parce que ces trois mois ont passé comme troisjours ; parce que je n’ai pas même songé à la quitter uneheure, et que ce n’est que ce matin que je me suis enfin souvenuqu’on soupait chaque soir au Palais-Royal, et que depuis trois moison ne m’y avait pas vu.

– Ma foi ! dit le régent, je ne voisqu’un moyen de sortir de là.

– Lequel ? monseigneur.

– C’est que le marquis te raconte cequ’il nous disait tout à l’heure.

– Volontiers, dit le vieillard.

Et il refit gravement, avec un accent nonmoins grand de sincérité, le même récit que les convives du régentavaient entendu déjà.

Plusieurs fois le chevalier se mit à rire etmurmura :

– Absurde ! absurde !

Puis, comme le marquis finissait,M. d’Esparron répondit :

– Monsieur le marquis, je ne vois aucuninconvénient à ce que vous soyez superstitieux, et même j’irai plusloin, et il se peut bien que votre histoire soit vraie de touspoints. Mais que prouve-t-elle ? Une seule chose, c’est que lanote de police remise à M. le cardinal Dubois est le point dedépart de votre erreur. On vous a raconté que j’avais été enlevédans une barque par une femme masquée, et vous en avez conclu quecette femme était le vampire de votre prunelle. Ceci est toutnaturel, et ce n’est pas à vous que j’en ai. Mais…

Ici le chevalier s’arrêta un moment et regardale cardinal.

Puis il reprit :

– Mais, monsieur le cardinal, avez-vousbien réfléchi que votre police est mal faite ?

– Je ne le crois pas, fit Dubois aveccolère.

– Et que Votre Éminence a fort bien puêtre mystifiée par des coquins qui ont voulu tirer faveur et profitdu conte qu’ils vous ont fait.

– Mais on a mis la Niolle à la torture,dit le régent.

– La Niolle est une coquine qui s’estentendue avec les mystificateurs.

Cette dernière réponse avait quelque chose delogique qui frappa Dubois.

Après tout, il ne savait que ce que les gensde la police lui avaient dit.

– Tonnerre ! dit-il, en frappant dupoing sur la table, je vais envoyer chercher la Niolle !

– C’est par là qu’il aurait fallucommencer, dit le régent. Et, en attendant qu’elle vienne,soupons.

Le chevalier d’Esparron s’était mis à table,et il se trouvait précisément à côté du marquis.

Celui-ci, pendant le souper, se montra d’unecourtoisie parfaite pour lui.

Il lui servit constamment à boire, et lechevalier, qui était un rude compagnon, lui fit raison chaquefois.

Pendant ce temps, on avait envoyé un capitainedes gardes à la Pomme d’Or, avec ordre de ramener laNiolle de gré ou de force.

Une heure s’écoula. Le capitaine des gardesrevint.

– Voici la Niolle, dit-il.

– Où est-elle ?

– Dans l’antichambre.

– Qu’elle entre, ordonna le régent.

– Ah ! oui… qu’elle entre !…balbutia le chevalier d’une voix avinée.

Et, ce disant, il se renversa brusquement surle dossier de son fauteuil.

– Chut ! fit le marquis, tout àl’heure.

En même temps, le vieillard montra lechevalier qui venait de fermer les yeux :

– Il dort, fit-il tout bas.

– Il est ivre, dit le régent.

– Et j’ai un peu précipité son ivresse,ajouta le marquis.

En même temps, il posa sur la table sa maingauche, dont l’annulaire était orné d’une grosse bague.

– Tout à l’heure, dit-il, j’ai laissétomber dans son verre trois grains d’opium renfermés dans le chatonde cet anneau.

Le régent eut un geste de surprise.

– Il dort, répéta le vieillard avec unaccent d’autorité qui impressionna tout le monde. Vous ferez entrerla Niolle après, monseigneur.

– Pourquoi pas tout de suite ?

– Mais parce que je n’ai pas besoind’elle pour vous prouver que j’ai dit la vérité.

– Comment ?

– Le chevalier est amoureux de la femmevampire.

– Ah ! par exemple !

– Et je vais vous le prouversur-le-champ.

Alors le vieux marquis se leva ; ilrepoussa un peu le fauteuil dans lequel dormait le chevalierd’Esparron.

Puis, au grand ébahissement de tous, il se mità desserrer la collerette de dentelle du jeune homme.

Et soudain les convives jetèrent un cri.

Le chevalier avait au cou une cicatrice encoresanglante, quelque chose comme une large piqûre, et le marquis ditavec un accent de triomphe :

– Voilà les traces du vampire.Douterez-vous, maintenant ?…

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