La Femme immortelle

Chapitre 19

 

 

Le chevalier commença ainsi sadéposition :

– Je suis arrivé à Paris il y a quinzejours et je suis descendu dans une hôtellerie du pays Latin, qui apour enseigne : Au cheval rouan.

– Je la connais, dit Boisfleury.

– Le lendemain soir de mon arrivée,j’étais couché et endormi, lorsqu’une grande rumeur qui se fit dansl’hôtellerie me réveilla.

« Je descendis à moitié vêtu et je vis unhomme tout sanglant qu’on avait apporté dans une salle del’hôtellerie et déposé sur une table.

« Cet homme avait une large blessure à lapoitrine et il était évanoui.

« On me dit que c’était le marquis de laRoche-Maubert. »

– Voilà un nom qui ne m’est pas inconnu,dit le président Boisfleury. Continuez…

– On l’avait trouvé à la porte, baignantdans son sang, et on le transporta dans sa chambre, où unchirurgien, après l’avoir examiné, secoua la tête en disant qu’iln’en reviendrait pas.

– On avait sans doute tenté del’assassiner ? fit Boisfleury, qui flairait déjà une belleaffaire criminelle.

– Non, il s’était battu en duel.

– Avec qui ?

– Voilà ce que personne ne savait et ceque j’ai su plus tard, moi.

– Après ?

– Cependant le marquis ne devait pasmourir. La nouvelle de sa mésaventure avait fait quelque bruit, cardès le lendemain monseigneur le Régent et le cardinal Duboisfaisaient prendre de ses nouvelles.

Cette fois le président Boisfleury poussa unevéritable exclamation de joie.

– Continuez, continuez donc, fit-il.

– Au bout de huit jours, le marquis étaithors de danger, et il me fit demander pour lui tenir compagnie.Quand nous fûmes seul, il me dit :

« – Je suis amoureux.

– Quel âge avait-il donc ? demandaencore Boisfleury.

– L’âge du margrave ou à peu près.

– Un fou !

– Je ne dis pas non. Mais vous allezvoir. « Je suis amoureux, me dit-il, et amoureux d’une femmequi me fuit. Me voulez-vous venir en aide et donner un coup de mainpour l’enlever ? » Je logeais le diable dans ma bourse,j’étais venu à Paris pour chercher fortune et n’avais rien de mieuxà faire, j’acceptai la proposition du marquis et je m’en allai aveclui, le jour même, entreprendre le siège de la maison où,disait-il, logeait l’inhumaine.

Le Gascon s’arrêta pour reprendre haleine.

– Vous écrivez toujours, n’est-cepas ? fit Boisfleury, s’adressant au barbier.

– Toujours, répondit maître Révol.

Castirac poursuivit :

– Elle logeait, disait le marquis, rue del’Hirondelle, laquelle rue donne dans la rue Gît-le-Cœur.

– Je sais cela.

– Au coin de la rue nous rencontrâmes unebohémienne qui dit la bonne aventure au marquis.

– Que lui prédit-elle ?

– Qu’il lui arriverait malheur s’ilallait plus loin.

– Et il poursuivit sa route ?

– Naturellement.

– Au fait, dit Boisfleury qui était nonseulement un magistrat plein de zèle, mais encore un grandphilosophe, cela devait être, l’amour est une folie qui mèneloin.

– Arrivés à la porte de la maison, lemarquis s’effaça et ce fut moi qui frappai.

« Un homme ouvrit un guichet, parlementa unmoment, finit par tirer les verroux et nous entrâmes.

« Alors le marquis lui porta la pointe de sonépée au visage et lui dit : – Apprête-toi à mourir si tu ne memontres le passage secret qui mène chez elle.

« Alors cet homme eut l’air d’avoir peur. Ilpria, il supplia, non pour sa propre vie seulement, mais pour celledu marquis qu’il disait être en danger.

« Celui-ci se montra inflexible.

« Alors le bonhomme se laissa faire violenceet, tout en soupirant, il dit au marquis : – Puisque vous levoulez, je vais vous montrer le passage secret, mais vous n’enreviendrez pas.

« En même temps il pressa un ressort qui fitmouvoir une plaque de cheminée et cette plaque, en tournant, laissavoir un escalier qui semblait s’enfoncer sous terre.

« – Si ma vie est en danger, la tienne y estaussi, dit alors le marquis.

« Et il me donna pour consigne de resterauprès de cet homme et de le tuer, si, deux heures s’étantécoulées, lui, le marquis, ne reparaissait pas. »

Le président Boisfleury fronça de nouveau lesourcil.

– Ainsi donc, dit-il, vous acceptiez lamission de tuer un homme désarmé ?

Ici le chevalier de Castirac pensa que s’ilracontait l’histoire exacte de sa mésaventure avec maîtreGuillaume, le bourgeois homme d’épée, elle ne serait pasprécisément à son avantage, et il la modifia légèrement.

– Non, certes, monseigneur, dit-il, jen’acceptai pas sérieusement une mission pareille, et cela par laraison toute simple que je ne croyais nullement au danger queM. de la Roche-Maubert était censé courir.

– Mais, enfin, qu’arriva-t-il ?demanda le président avec impatience.

– Quand M. de la Roche-Mauberteut disparu dans les profondeurs de l’escalier, le bourgeois se mità rire.

« – Mon gentilhomme, me dit-il, regardez-moi.Je suis un homme paisible et débonnaire, et je ne voudrais pasverser le sang d’une mouche, mais, en même temps, je ne suis pas unmari jaloux, et c’est de ma femme, qui est jeune et belle que lemarquis s’est amouraché. Or je défends mon bonheur et mon honneurcomme je peux.

« – Mais que va devenir le marquis ?demandai-je un peu ému, malgré moi, de la naïveté de ce bravehomme.

« Le bourgeois rit de plus belle.

« – Cet escalier, dit-il, descend dans unecave. Cette cave est percée d’un corridor qui descend en penterapide.

« Au bout de ce corridor est la Seine. Lemarquis, que je connais de longue main, est bon nageur. Il glisserasur la pente, tombera dans la Seine, prendra un bain froid qui lecalmera, et gagnera la berge à la nage.

« Au lieu de vous escrimer ici avec votrerapière, voulez-vous deux cents pistoles et un verre de vieuxvin ?

« – Ma foi, monseigneur, acheva le Gascon, jene connaissais guère le marquis et ce bourgeois qui défendait safemme m’intéressait. Je vidais un verre de vin à sa santé,j’empochai les deux cents pistoles, dont j’avais grand besoin, etje m’en allai.

– Mais vous avez revu lemarquis ?

– Jamais.

– Et il y a de cela ?

– Environ huit jours.

M. Boisfleury fronçait de plus en plus lesourcil.

– Vous avez eu tort de vous conduireainsi, dit-il, car il a dû se commettre quelque crime abominabledans les profondeurs de cet escalier.

– C’est possible.

– Et je vais me livrer à une enquête.Écrivez-vous toujours, maître Révol ?

– Toujours, monsieur le président,répondit le barbier.

Alors le Gascon prit une minepiteuse :

– Monseigneur, dit-il, j’ai encore un motà vous dire.

– Parlez…

– En quittant la maison de la rue del’Hirondelle je suis retourné à l’hôtellerie.

– Bon !

– Le lendemain, le surlendemain et lesjours suivants, j’ai attendu le marquis, mais il n’est pas revenu.Alors j’ai songé à prévenir la justice, d’autant mieux que je suisallé frapper vainement à la porte du bourgeois, et que cette portene s’est point ouverte.

– Elle s’ouvrira devant moi !s’écria le zélé président.

Puis il posa ses deux mains sur son front etparut réfléchir.

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