Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 4

 

C’était le Notaire et Jean-le-bourreau quiportaient le corps inanimé de Rocambole.

La Mort-des-braves et Marmouset suivaient etl’enfant disait, faisant allusion à Jean-le-bourreau :

– Je crois bien que le pauvre vieux setrompe : il est bien mort.

– Sans compter, disait laMort-des-braves, qu’il a une jolie boutonnière au beau milieu de lapoitrine et qu’il a dû perdre joliment du sang.

La chose n’était pas rare de voir arriver desnoyés au cabaret de la Camarde.

Entre Sèvres et Saint-Cloud surtout, lesflotteurs en trouvaient souvent dans les herbes.

On les chargeait alors sur le train et on lesconduisait au cabaret de l’Arlequin.

Là on avertissait le commissaire, et toutesles formalités d’usage étaient remplies, en vue de la prime bienentendu.

On déposa donc Rocambole au milieu ducabaret.

– Mon pauvre vieux, reprenait le Notaire,je crois qu’il est mort.

– Non, ce n’est pas possible, s’écriaitJean-le-bourreau, qui s’arrachait les cheveux.

Le corps était crispé ; la face livide,toutes les apparences de la mort existaient.

– Je vais vous dire ça, fit laCamarde.

Les habitués de l’Arlequin avaientfait un cercle autour de ce corps qui était peut-être bien uncadavre.

– Un beau garçon ! murmura laPie-borgne.

– Il aura joué du couteau, dit unautre.

– Vous vous trompez, fit un vieuxravageur, cette boutonnière-là n’a pas été faite avec uncouteau.

– Avec quoi donc ? demanda laPie-borgne.

– C’est un coup d’épée.

– Quel chic ! s’écria Marmouset. Uncoup d’épée, c’est un luxe qui est fait pour les bourgeois et lesgens de la haute pègre.

Jean-le-bourreau lui montra le poing aveccolère.

Pendant ce temps, la Camarde s’était penchéesur Rocambole.

Elle avait appuyé son oreille sur le cœur.

Le cœur ne battait plus.

Elle avait pris les deux bras l’un aprèsl’autre et les avait secoués.

Les bras avaient cette élasticité molle quisuit la mort.

Elle eut recours à une épreuve suprême.

Elle alla prendre un petit miroir devantlequel le Pâtissier se faisait la barbe et qui était suspendu aumur.

Quand on la vit revenir vers le cadavre, cemiroir à la main, il y eut un moment de silence presquesolennel.

Jean-le-bourreau avait de grosses larmes surles joues.

Le Notaire lui-même, dont l’impassibilitéétait bien connue, témoignait une si vive anxiété, que le Pâtissiers’écria :

– Mais quel est donc cet homme, que vousavez si grand’peur qu’il soit mort ?

Le Notaire et Jean ne répondirent pas.

La Camarde s’était agenouillée auprès ducorps : ensuite elle avait avec ses mains desserré lamâchoire ; puis elle en avait approché le miroir.

Deux minutes s’écoulèrent.

La Camarde retira la glace et Jean-le-bourreaujeta un grand cri.

La glace était ternie…

Donc un souffle était sorti de la poitrine, –donc le noyé n’était pas mort.

– Mes enfants, dit alors l’Ogresse, iln’est pas mort, mais nous aurons du mal à le réchapper. Il fautallumer un grand feu et l’envelopper dans des couvertures. En mêmetemps, nous allons le frictionner.

– Un homme de plus ou de moins, voilà-t-ypas une belle affaire ? grommela le Pâtissier.

– Parle pour toi, Pâtissier, dit laPie-borgne, tu es assez vieux et assez laid… tandis que lui…

Le chef des Ravageurs ne répondit pas à cetteinsolence. La Pie-borgne avait avec lui son franc-parler.

Jean-le-bourreau s’était levé endisant :

– Il faut le sauver !

– Je crois bien, avait répondu leNotaire, avec un enthousiasme fort rare chez lui.

– Mais qui est-ce donc ? demanda lePâtissier, animé d’une fureur croissante.

– Un homme, auprès de qui tu n’es qu’unfeignant, dit le Notaire.

– Tu m’insultes ! hurla lePâtissier.

Les autres Ravageurs murmuraientsourdement.

– Il paraît, dit Marmouset, que cemonsieur-là c’est Rocambole.

À ce nom, la colère du Pâtissier s’éteignitcomme une torche qu’on tremperait dans l’eau.

– Lui, lui ! balbutia-t-il.

Pendant ce temps, les deux femmes s’étaientmises à la besogne, elles avaient pris ce corps inanimé etl’avaient porté auprès du feu, dans lequel Marmouset avait jeté unefalourde tout entière.

Puis la Camarde avait arraché les couverturesdu lit qui se trouvait dans un coin du cabaret, en même temps quela Pie-borgne, qui avait le poignet solide, commençait desfrictions sur la poitrine du noyé.

Et le Pâtissier lui-même s’était mis àl’œuvre.

Il avait pris une burette dans laquelle il yavait du vinaigre, et il frottait les tempes, les lèvres et lesnarines de Rocambole.

De temps en temps, la Camarde appuyait sonoreille sur la poitrine.

Tout à coup, un éclair brilla dans sesyeux :

– Le cœur bat, dit-elle.

– Oh ! s’écria Jean, je savais bienqu’il n’était pas mort.

– Est-ce que Rocambole peut mourir ?dit le Notaire avec un accent de triomphe.

Le cœur en effet s’était remis à battre, et unsouffle imperceptible passait au travers des lèvres.

Tant qu’on avait douté de la vie, toutes lespoitrines avaient été anxieuses, les haleines suspendues.

Mais quand la Camarde, qui était une femmed’expérience, eut annoncé qu’elle répondait du retour à la vie, cefut une véritable explosion de joie, un flux de paroles, un tumulteindescriptible.

– C’est qu’il paraît que c’est un fameux,celui-là, disait Marmouset.

– Je le crois bien, dit un Ravageur,silencieux jusque-là. Il nous a donné du fil à retordre, il y atrois mois.

– À toi ? dit le Notaire étonné.

– Oui, j’étais de la bande deTimoléon.

– Alors tu le connais, toi aussi, fit lePâtissier.

– Je le connais sans le connaître,répondit le Ravageur, attendu que Rocambole change de visage commenous changeons de blouse, nous autres.

– On appelle ça se faire unetête, dit encore Marmouset.

– Tais-toi, môme, fit la Camarde.

Le cœur battait maintenant avec violence, etquelques soupirs s’échappaient de la poitrine du noyé.

– Je crois bien qu’il va ouvrir un œil,dit la Camarde.

La Pie-borgne continuait ses frictions.

– S’il en réchappe, reprit le Notaire,nous en ferons notre chef.

Le Pâtissier haussa les épaules avec un gested’humeur.

– Faudra te résigner, mon bonhomme. Là oùest Rocambole, il commande.

Le Pâtissier n’eut pas le temps de répondre,car Jean-le-boucher poussa un nouveau cri…

Un cri de joie suprême, un cri de délireenthousiaste…

Rocambole venait de rouvrir les yeux…

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