Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 7

 

La description de la maison isolée faite àRocambole par le Notaire était assez exacte.

Il y avait un grand parc touffu qui descendaitjusqu’à la rivière.

La maison était petite, mais éléganted’aspect, de construction récente, et avait dû s’élever sur lesruines de quelque habitation seigneuriale.

Elle avait été longtemps à vendre, et il n’yavait pas plus de six mois que les hôtes mystérieux dont parlait leNotaire s’en étaient rendus acquéreurs.

Un soir, une voiture fermée s’était arrêtée àVilleneuve, chez Me ***, notaire.

Un homme enveloppé d’une pelisse fourrée, – onétait en hiver alors – coiffé d’un bonnet d’astrakan, et ayanttoute l’apparence et la physionomie d’un étranger, en étaitdescendu.

Cependant il avait demandé à voir le notaireen fort bon français et sans le moindre accent.

L’inconnu avait dit au notaire :

– Vous êtes chargé de vendre une maisonqui se trouve sur la droite, à mi-côte, en retournant àParis ?

– Oui, monsieur, avait répondu lenotaire.

– À qui cette maisonappartient-elle ?

– À des gens de province qui ont héritérécemment. Une vieille dame y est morte l’année dernière.

L’inconnu n’avait pas sourcillé.

Il n’avait même pas demandé le nom de lavieille dame. Il avait accédé sans débats au prixd’acquisition.

La maison était toute meublée.

Comme elle n’était grevée d’aucune hypothèque,l’inconnu tira de sa poche un portefeuille gonflé de billets debanque et paya sur-le-champ, disant qu’il désirait entrer enjouissance immédiate.

Le lendemain, en effet, les gens de Villeneuvevirent arriver un vieux domestique et une servante entre deux âgesqui prirent possession de la maison, ouvrirent portes et fenêtres,lavèrent, nettoyèrent les appartements, ratissèrent les allées dujardin et s’installèrent ensuite dans le petit pavillon qui setrouvait au fond du parc.

Quelques jours s’écoulèrent.

On est curieux à Villeneuve, presque autantque dans une ville de la vraie province.

Les domestiques avaient une tournureétrangère.

Ils s’exprimaient parfaitement en français,mais entre eux ils parlaient une autre langue que personne necomprenait à Villeneuve.

On les avait questionnés vainement chez leboucher et l’épicier.

Personne n’avait pu savoir le nom de leurmaître, ni de quel pays ils venaient.

Le notaire *** lui-même avait gardé un silenceprudent sur le nom, les titres et les qualités de son nouveauclient.

Au bout de huit jours l’étranger arriva.

Mais il n’était pas seul, une jeune damel’accompagnait.

Ils traversèrent Villeneuve au grand trot dedeux mecklembourgeois qui traînaient une voiture de voyage.

On n’eut pas le temps de les voir.

À peine put-on soupçonner que l’homme étaitvieux et la femme jeune.

Cette dernière était toute vêtue de noir.

Des semaines entières, puis de longs moiss’écoulèrent avant qu’on ne les revît.

Cependant ils habitaient la maison.

Bien souvent les bourgeois de Villeneuve s’enétaient allés rôder autour du parc, mais inutilement.

Cette maison avait l’air d’un tombeau.

Seuls, les domestiques sortaient, venaientfaire leurs provisions au village et ne parlaient à personne.

Marmouset, le petit bandit que les Ravageursavaient envoyé en éclaireur, était donc plus heureux que les gensde Villeneuve, puisque, grimpé sur un arbre, il avait vu du mêmecoup le vieux monsieur et la jeune dame, ensemble d’abord, etparaissant se quereller.

Et c’est à cette scène, que Marmouset devinaitplutôt qu’il ne l’entendait, que nous allons assister.

La jeune dame était assise dans une bergère,au coin du feu.

Une seule lampe, placée sur la cheminée,éclairait la pièce qui était une chambre à coucher.

Mais ses rayons tombaient verticalement sur lajeune femme et permettaient de remarquer sa beauté pâle, fiévreuse,maladive.

Grande, amaigrie par quelque mystérieusesouffrance, elle avait des mains blanches et transparentes comme dela cire, de grands yeux noirs bordés d’un cercle de bistre et deslèvres pâles au coin desquelles la douleur avait creusé sonpli.

Peut-être n’avait-elle que vingt ans,peut-être en avait-elle trente.

Le type de sa physionomie rappelait les racesorientales du Nord, telles que la race caucasienne ou la raceslave.

– Voici bien longtemps déjà que noussommes ici, mon père, poursuivit-elle, bien longtemps que vousm’avez arrachée, une nuit, à l’aide d’un narcotique, à mon enfantqui venait de naître, comme vous m’aviez arrachée déjà à l’hommequi était mon époux devant Dieu. Mon père, ne mettrez-vous point unterme à mon martyre ?…

Le vieillard se taisait toujours.

– Ne me rendrez-vous pas monenfant ? supplia la jeune femme.

– C’est l’enfant du crime.

– Oh ! fit-elle.

Et soudain ses joues s’empourprèrent aprèsavoir pâli, un éclair s’alluma dans ses yeux.

Et, se dressant tout d’une pièce, elle eut ungeste de colère, elle prit l’attitude qu’ont tout à coup ceux qui,longtemps courbés sous une volonté de fer, se révoltent enfin.

Et elle vint se placer devant le vieillard,stupéfait d’une pareille audace.

– Je veux savoir, dit-elle…

– Savoir quoi ? fit-il d’une voixglacée.

– Savoir ce qu’est devenu Constantin.

– Il est en Russie et n’a pas quitté sonrégiment.

Mais la jeune femme ne crut point à cetteréponse.

– Oh ! dit-elle, vousmentez !

Tout en elle annonçait une douleur morne etprofonde, un affaissement physique et moral qui semblait tenir dudésespoir.

L’homme, au contraire, le vieux, comme disaitMarmouset, formait avec cette femme un contraste étrange.

C’était un homme assez robuste, en dépit d’uneforêt de cheveux blancs et d’un collier de barbe grise, mais quipouvait bien avoir dépassé la soixantaine.

Coiffé de ce bonnet d’astrakan qui avaitrévolutionné les gens de Villeneuve, la polonaise à brandebourgsmilitairement boutonnée, il allait et venait par la chambre, lesmains croisées derrière le dos, le regard farouche, le pas inégalet brusque.

La jeune femme disait :

– Mon père, ne mettrez-vous pas un termeà mes longues souffrances ?… ne me rendrez-vous pas monenfant ?

Le vieillard haussait les épaules et nerépondait pas.

– Mon père, reprit-elle en joignant lesmains, serez-vous donc sans pitié ? et les haines de famille,ces vieilles haines ridicules en notre siècle, vousaveugleront-elles à ce point ?

Le vieillard continua sa promenade.

– Ma fille !

– Je ne suis plus votre fille. Je suisvotre victime et vous êtes mon bourreau.

– Prenez garde !

Mais elle, toujours révoltée,s’écria :

– Où est Constantin ?

– Vous ne le saurez pas.

– Qu’avez-vous fait de monenfant ?

– Il est mort.

– Oh ! vous mentez encore,dit-elle.

Le vieillard haussa de nouveau lesépaules.

– Vous avez mal aux nerfs, dit-il. Vousferez bien de prendre une infusion de thé et de vous mettre aulit.

Et il s’en alla, tirant violemment la porteaprès lui.

Quelques minutes s’écoulèrent.

La jeune femme s’était laissé retomber sur labergère, et elle fondait en larmes, se tordant les mains dedésespoir.

La porte se rouvrit. Mais ce ne fut pas levieillard qui entra.

Ce fut un homme d’environ quarante ans, demine louche et presque sinistre.

C’était un des mystérieux domestiques amenéspar les hôtes mystérieux de la villa.

Il apportait du thé sur un plateau.

La jeune femme le regarda, et soudain unéclair illumina son cerveau, et elle murmura :

– Oh ! il faudra bien qu’il parle,celui-là !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer