Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 43

 

Pénétrons maintenant dans l’intérieur deVanda, à Londres.

À leur arrivée, Rocambole et Vanda étaientdescendus à l’hôtel Dubourg.

Puis, le lendemain, ils s’étaient installésdans une petite maison qu’ils avaient louée tout entière, auprès deSaint-Paul.

C’était là que Vanda était chargée de veillernuit et jour sur Gurhi.

L’Indien, saisi de terreur et croyant avoiraffaire au chef de la secte ennemie, c’est-à-dire à un fils deSivah, avait fait toutes les révélations que lui avait demandéesRocambole.

Il avait désigné sir George Stowe comme lechef des Étrangleurs, et donné sur la vie de ce prétendu gentlemandes renseignements précieux.

Rocambole avait dit à Vanda :

– Je lui ai promis la vie s’il meservait, et ce dont il a le plus peur au monde, maintenant, c’estde tomber aux mains des Étrangleurs.

Néanmoins, veille sur lui, et, sous aucunprétexte, ne le laisse sortir.

Rocambole savait qu’il pouvait compter surVanda.

Il était donc parti fort tranquillement aprèss’être fait tatouer sur la poitrine l’oiseau bleu et le serpentbleu, ne se doutant point de la réaction qui allait s’opérer dansl’esprit de Gurhi.

Cet homme, mutilé au nom d’une religionmystérieuse, croyait à cette religion tout entière.

Le dogme indou a donc deux principes, le bienet le mal, partant deux divinités : le dieu Sivah et la déesseKâli.

Aux yeux des Indiens, les hommes sont desjouets aux mains de ces deux pouvoirs surnaturels qui,perpétuellement en lutte, remportent tour à tour la victoire.

Cet homme qui venait du fond de l’Inde avecune mission sanglante, et trouvait, à deux pas de Paris, des gensqui parlaient sa langue et le réduisaient tout à coup àl’impuissance, devait naturellement admettre que ces hommes étaientdes serviteurs du dieu ennemi de la déesse qu’il servait.

Par conséquent Sivah était plus fort queKâli.

Par conséquent encore, Gurhi, qui étaitlogique, devait s’incliner.

Depuis trois semaines qu’il était au pouvoirde Rocambole, Gurhi cherchait à faire la paix avec le dieu Sivah ettrahissait effrontément et sans remords la déesse Kâli.

Mais voilà que tout à coup Rocambole venaitlui dire :

– Je ne connais ni le dieu Sivah, ni sesprêtres, ni ses disciples. Si je combats les Étrangleurs, c’est quej’ai des raisons particulières. Néanmoins, comme cela peut servirmes projets de passer pour un fils de Sivah, tu vas, si tu ne veuxpas faire connaissance avec mon poignard et lui servir de gaine,dessiner sur ma poitrine le signe mystérieux que portent tesennemis.

En présence de cette menace de mort, Gurhis’était exécuté, mais le prestige de Rocambole s’était évanouisur-le-champ.

Gurhi ne croyait plus à Rocambole.

Gurhi ne tremblait plus.

Et dès lors, le fanatisme de l’Indien pour saterrible déesse revint, ardent, implacable, et il n’eut plus qu’undésir, – s’échapper ; un but – aller trouver sir George Stoweet lui tout dire.

Mais rien n’était moins facile que l’exécutionde ce programme.

Gurhi était gardé à vue.

Et gardé à vue par une femme.

Or, Gurhi savait qu’une femme est bien plusdifficile à tromper qu’un homme.

L’eunuque était non seulement étrangleur, – ilétait encore psylle, c’est-à-dire charmeur de serpents.

C’était même sa profession avouée à Madras,lorsque le comité des étrangleurs de l’Inde l’avait envoyé àLondres, en l’adressant à son correspondant, sir George Stowe.

Gurhi avait continué son métier à Londres.

Il avait emporté de Madras une caisse, rempliede vipères et de couleuvres, de toutes dimensions et de toutescouleurs.

C’était peut-être là tout ce qu’il aimait,après la déesse Kâli, bien entendu.

Quand sir George Stowe l’avait envoyé deLondres à Paris, avec Osmanca, pour étrangler le général et safille, Gurhi avait emporté ses couleuvres.

On l’avait même vu, tout un jour, sur la placedu Châtelet, jongler avec elles, les enrouler autour de son bras etde son cou, au grand ébahissement de ce bon peuple de Paris, pourqui toute nouveauté est un prétexte à rassemblement.

Lorsque Rocambole s’était emparé de lui, ilavait voulu savoir où Gurhi logeait.

L’eunuque avait indiqué un misérable hôteldans la rue Saint-Antoine.

Rocambole l’y avait conduit.

L’Indien n’avait ni papiers, ni rien qui pûtservir à Rocambole.

Ce dernier n’avait trouvé que la caisse àcouleuvres, et il avait voulu jeter les reptiles à l’eau.

Mais Gurhi s’était mis à pleurer et Rocambolelui avait laissé sa caisse.

Depuis qu’il était de retour à Londres, etsous la surveillance de Vanda, Gurhi n’avait plus qu’unpasse-temps : jouer avec ses vipères et ses couleuvres.

Du reste, comme on le pense bien, Rocamboleavait eu soin de s’assurer qu’aucun de ces hideux reptilesn’appartenait aux espèces dites foudroyantes.

Les couleuvres et les vipères se promenaientdonc en paix dans la chambre assignée à Gurhi pour prison ;les unes se réfugiaient dans sa poitrine, les autres déroulaientleurs anneaux tigrés sur la courtine de son lit.

Une seule avait une propriété stupéfiante,quoique non mortelle.

C’était une petite vipère jaune, tachetée denoir, dont la morsure, si légère qu’on la sentait à peine, avait lesingulier privilège d’endormir profondément.

Gurhi s’en souvint.

Et dès lors, il plaça dans la vipère jaunetout l’espoir de sa liberté.

Chaque fois, lorsque Rocambole sortait pouraller à un mystérieux rendez-vous dans la cité de Londres ou dansle Wapping, Vanda se faisait dresser un lit dans la pièce quiprécédait la chambre de Gurhi.

Or, comme cette chambre n’avait qu’une porte,il aurait fallu que Gurhi passât au pied du lit de Vanda poursortir.

Vanda, cette nuit-là, ne s’était pas couchée,elle avait attendu Rocambole.

Lorsque ce dernier rentra, elle assista àl’expérience du tatouage.

Et quand Rocambole sortit, pour aller sebattre avec sir George Stowe, le jour commençait à poindre.

Vanda se plaça dans un fauteuil, dans lachambre même de Gurhi, auprès de la porte, et dans une positiontelle que l’Indien, pour sortir, eût été forcé de passer sur soncorps.

Mais Gurhi s’était glissé sous sescouvertures, avec la caisse à couleuvres, et il feignait dedormir.

Seulement, de temps à autre, il ouvrait un œilet cherchait à voir si Vanda dormait.

Vanda lutta un moment contre le sommeil ;puis la fatigue triompha.

Ses yeux se fermèrent ; mais sa mainn’abandonna point le revolver avec lequel elle tenait Gurhi enrespect nuit et jour.

Alors, passant la main sous les couvertures,le psylle frappa doucement plusieurs coups bizarrement espacés, surla caisse à couleuvres.

Puis il en souleva un peu le couvercle.

La vipère jaune sortit et vint s’enroulerautour du bras de Gurhi.

Alors Gurhi étendit le bras dans la directionde Vanda endormie.

Puis il secoua la vipère qui déroula sesanneaux et alla tomber sur les genoux de Vanda.

Vanda dormait toujours, et la vipère se glissadans les plis de sa robe.

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