Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 41

 

Faisons connaissance avec milady.

Il y avait deux heures environ que sir JamesNively et Vanda étaient partis.

L’intendant Bob n’était point encore levé.

Un violent coup de sonnette fit tressaillirJacquot qui, après le départ des deux étrangers, s’était rendu à lacuisine où Saturnin, le valet de chambre, et Marianne, lacuisinière, s’entretenaient, avec mille commentaires, de lafacilité avec laquelle les deux voyageurs avaient été reçus.

– Voilà milady qui sonne ! ditJacquot.

Il leva les yeux vers le mur contre lequel lasonnette vibrait encore.

Cette sonnette était placée à la suite d’unedouzaine d’autres qui toutes portaient un numéro.

Jacquot remarqua que celle qui tintaitcorrespondait au numéro 9.

Et ses dernières appréhensionsdisparurent.

La chambre qu’il avait donnée à Vanda portaitle n° 3.

Chacune des chambres à coucher de miladyportait donc un numéro.

Du n° 1 au n° 6, elles étaientdisséminées au premier étage.

Du n° 7 au n° 12, elles setrouvaient au deuxième.

Chaque soir, à minuit, milady fermait lagrille du corridor qu’elle avait choisi.

Mais, en dépit de ses précautions, le spectrela visitait une nuit sur trois.

Jacquot et les autres domestiques s’enapercevaient bien.

Si milady avait passé une bonne nuit, si lespectre n’était point venu troubler son sommeil, elle avait levisage expansif, l’œil brillant, la parole brève.

Si, au contraire, elle avait eu la visite duspectre, elle était pâle, affaiblie et parlait à peine.

Jacquot monta donc au deuxième étage, à lachambre qui portait le n° 9.

Il frappa doucement.

– Entre ! dit milady d’une voixsonore.

– Madame a bien dormi cette nuit, pensaJacquot.

Et il entra.

Milady était assise au coin du feu, enveloppéedans une ample robe de chambre de couleur écarlate à revers etretroussis noirs.

Elle avait ouvert la fenêtre, par laquelle lesoleil entrait à flots et l’air froid du matin par bouffées.

Elle regarda Jacquot qui se tenait humblementsur le seuil, la casquette à la main, et lui dit d’un tonbienveillant :

– Où est Bob ?

– Je ne l’ai point vu ce matin encore,répondit Jacquot.

– C’est bien, ferme la porte etapproche-toi, dit encore milady.

Jacquot obéit.

– Tu as vu les deux étrangers ?reprit-elle.

– Oui, milady.

– Comment étaient-ils ?

– Jeunes tous deux. Le mari paraissaitcontrarié de ne pas voir milady.

Jacquot s’était servi du mot maripour n’avoir pas à avouer qu’il avait conduit Vanda aun° 3.

– La femme est-elle belle ? demandamilady, obéissant peut-être à un simple sentiment de curiositéféminine.

– Oh ! très belle… murmura Jacquotavec admiration.

– Sais-tu leur nom ?

– Je l’ignore, madame.

– Sont-ils partis ?

– Oui, dès le point du jour.

Milady s’approcha de la fenêtre et exposa sonfront pâle à l’air du matin, sans adresser davantage la parole àJacquot.

Celui-ci demeurait planté au milieu de lachambre, attendait.

Milady se retourna enfin :

– Tu me selleras mon cheval, dit-elle, jeveux sortir, le temps est beau…

Jacquot ne se fit point répéter cet ordre. Ilquitta la chambre et descendit l’escalier quatre à quatre.

Sur la dernière marche, il se trouva nez à nezavec maître Bob.

– Où vas-tu ? lui dit le sombreintendant.

– Seller le cheval de milady.

– Milady sort ce matin ?

– Oui, monsieur Bob.

– Ah ! murmura l’intendant.

– A-t-elle demandé après moi ?

– Tout à l’heure.

– J’y vais, dit Bob.

Jacquot continua sa route, traversa levestibule et gagna la cour.

Bob monta au premier étage et alla frappertout droit à la porte du n° 3, au 1er étage.

On ne lui répondit pas.

Il frappa plus fort, et, comme il n’obtenaittoujours pas de réponse, il mit la main sur la clé et ouvrit laporte.

La chambre était déserte.

Mais il y avait un reste de cendre dans lacheminée et le lit en désordre attestait que cette chambre avait euun hôte pendant la dernière nuit.

– Milady aura couché dans deux lits cettenuit, pensa Bob.

Et il quitta le n° 3 et allasuccessivement frapper à toutes les chambres du corridor.

Nulle part il n’entendit la voix demilady.

Alors, il se décida à monter au 2eétage, où il recommença la même manœuvre.

Ce fut au n° 9 seulement qu’il obtint uneréponse.

Il entra et s’arrêta un peu étonné sur leseuil.

Milady achevait sa toilette.

Elle avait revêtu une amazone de couleursombre et s’était coiffée d’un petit chapeau gris à plume.

Son visage était calme, sa lèvre presquesouriante.

Bien qu’elle eût dépassé la quarantaine,milady était fort belle encore, et, ce matin-là, Bob fut frappé ducalme qui régnait dans toute sa personne.

– Bonjour, mon vieux Bob, lui dit-elle enlui tendant la main.

Bob baisa cette main et lui dit :

– Je vois que milady a bien dormi cettenuit.

– Oh ! parfaitement.

– Rien n’a troublé son sommeil ?

– Absolument rien.

Bob demeura impassible.

– Milady paraît de bonne humeur, cematin, continua-t-il.

– Sans doute. Ne sommes-nous pas au 17 dumois ?

– C’est juste.

– Et tu sais bien que c’est le 17 quel’homme de Paris arrive.

Bob s’inclina.

Milady donna la dernière main à sa toilette etsortit de sa chambre avec Bob.

Ce dernier était un peu pâle sous ses cheveuxblancs.

Il accompagna sa maîtresse jusque dans la couroù Jacquot tenait en main le cheval, tout sellé.

Puis il plia le genou devant elle pour qu’ellepût se mettre en selle.

Milady rassembla les rênes, rendit la main àson souple poney et sortit de la cour en caracolant.

Le regard sombre de Bob l’accompagna jusqu’audétour du chemin.

Puis, lorsqu’elle eut disparu derrière unehaie de noisetiers, Bob rentra dans le château.

Il remonta à la chambre qui portait len° 3, s’approcha du lit et se mit à le bouleverser en toutsens.

Un cheveu de femme, un long cheveu blond étaitencore sous l’oreiller.

Bob tressaillit.

Milady était brune.

Ce n’était donc pas elle qui avait couché dansce lit !

Qui donc le spectre avait-il visité durant lanuit dernière ?

Et Bob, la sueur au front, se prit à songer àl’étrangère.

L’étrangère était partie, emportant le secretdu spectre.

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