Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 30

 

Le cinquième jour de cette retraite forcée àlaquelle sir George Stowe s’était condamné depuis les événements deHampstead s’était écoulé tout entier et le gentleman ne savaitabsolument rien de nouveau.

Aucune nouvelle de miss Cécilia.

Il avait écrit à la jeune fille, elle ne luiavait pas répondu.

Tous les matins son nouveau domestique, car onsait ce qu’était devenu le malheureux John, lui apportait lesgazettes et les papiers publics.

Sir George Stowe les parcourait d’un œilfiévreux.

Il lui semblait toujours lire quelque terriblefait-divers relatant le miraculeux sauvetage de Gipsy labohémienne, la mort du baronnet sir Nively, et quelque lettrefulminante adressée à la police anglaise par sir Arthur Newil.

Rien de tout cela n’arrivait.

Enfin, le soir du cinquième jour, sir Georgese décida à sortir.

Il commença par aller dîner au club deWest-India. On l’accueillit comme à l’ordinaire.

Seulement, un membre fit l’observation qu’onne l’avait pas vu depuis longtemps.

Sir George Stowe, un peu rassuré, réponditqu’il était allé chasser dans le comté de Kent.

Un autre lui demanda où en était son mariageavec miss Cécilia.

Le gentleman prit un air mystérieux et onn’insista pas, – la discrétion étant une vertu essentiellementanglaise.

Un autre lui raconta que l’on n’avait pas vunon plus sir Nively depuis longtemps.

Sir George Stowe répondit qu’il pensait que lebaronnet avait rejoint son régiment à la hâte et s’était embarquépour les Indes.

Enfin, un quatrième membre du club lui racontaen détail la mort de ce prétendant de miss Cécilia, qu’on avaittrouvé étranglé dans la rue.

On mit même la conversation sur lesÉtrangleurs.

Sir George Stowe demeuracalme.

Au reste l’opinion générale du club était queles Étrangleurs de Londres n’étaient autres que des voleurs.

Personne ne souffla mot de sir Arthur.

Il y avait si longtemps qu’on ne l’avait vu àWest-India qu’il était oublié.

À dix heures du soir, sir George Stowe sortitdu club un peu rassuré.

Mais que s’était-il passé àHampstead ?

Les gens audacieux qui avaient enlevé Gipsy dubûcher en flammes n’étaient pas hommes à s’arrêter en si beauchemin.

Sir George Stowe avait dans sa poche une bonnepaire de revolvers à six coups chacun et un poignard.

Il monta dans un cab et se fit conduire àHampstead.

Mais, arrivé dans le village, il renvoya soncocher et fit à pied le trajet qu’il avait encore à parcourir pourarriver à la pagode.

Hampstead est désert, le soir ; onrencontre à peine çà et là un passant attardé dans les rues.

Sir George Stowe arriva donc sous les murs dugrand jardin qui entourait la pagode sans avoir coudoyépersonne.

À sa grande satisfaction, il lui parut que lagrille était dans le même état et que tout paraissait calme ettranquille à l’intérieur.

Néanmoins, sir George Stowe, qui avaitpourtant une clé, n’osa pas entrer tout de suite.

Il revint sur ses pas et pénétra dans uncabaret, où il demanda un verre d’ale commune.

Ce cabaret était celui que fréquentait lefossoyeur bel esprit et diseur d’histoires.

Placé à une table voisine, sir George Stoweécouta la conversation du fossoyeur et de quelques autrespersonnes.

On s’entretenait des prochaines élections.

Personne ne souffla mot de la pagode.

Enhardi, sir George Stowe quitta le cabaret etse dirigea vers la grille.

La clé tournait dans la serrure, la grilles’ouvrit.

Au bruit qu’elle fit en se refermant, uneautre porte s’ouvrit à l’extérieur de l’étrange édifice.

La femme aux bracelets d’or, celle-là même quiavait reçu Gipsy, vint à la rencontre de sir George Stowe.

Selon sa coutume, elle se prosterna etl’appela Lumière, ce qui parut d’un bon augure àl’Anglo-Indien, qui craignait fort d’avoir perdu son autorité.

Ensuite, elle lui dit :

– Sir James Nively vous attendait avecimpatience, Lumière.

– Nively ? s’exclama sir George.

– Il est vivant, notre bon maître, dit lafemme aux bracelets d’or.

Sir George Stowe respira.

– La balle a glissé le long des côtes,poursuivit l’Indienne, et la blessure est légère.

Sir George Stowe suivit la femme aux braceletsd’or à l’intérieur, dans le même vestibule qui ressemblait à celuid’une maison anglaise ordinaire, et où elle avait offert à manger àGipsy.

C’était là qu’était sir James Nively.

Le baronnet n’était même pas au lit, bienqu’un peu pâle.

Il se leva du siège où il était assis et seprosterna à son tour devant sir George Stowe.

– Ah ! Lumière, dit-il,j’attendais plus tôt votre retour.

– Mon retour ? fit George Stowe.

– Mais, continua sir James Nively, vousavez voulu exterminer auparavant tous les prétendus fils de Sivah.Car, rassurez-vous, Lumière, poursuivit le baronnet avecvolubilité, j’ai eu bientôt relevé le moral abattu de nos hommes,et ils sont aujourd’hui pleins d’ardeur.

Sir George Stowe écoutait le baronnet etcroyait rêver.

– Ainsi, dit-il enfin, il n’est rienarrivé ici ?

– Rien que ce que vous savez…

– Les prétendus fils de Sivah,c’est-à-dire le Français et sa bande…

– Vous les avez exterminés dans Londres,n’est-ce pas ?

– Non, dit sir GeorgeStowe.

– Mais vous avez repris Gipsy ?

– Non.

– Tout au moins sir Arthur.

– Pas davantage.

– Enfin, dit sir James Nively avec unétonnement croissant, vous avez revu miss Cécilia et votre mariageva bon train.

– Je n’ai pas revu miss Cécilia.

Cette fois, le baronnet Nively jeta un crid’étonnement.

– Mais qu’avez-vous donc fait depuis cinqjours ? dit-il en regardant sir George Stowe.

– Ce que j’ai fait ?

– Oui.

– Mais… rien…

Sir James Nively, qui avait repris sa placedans son fauteuil, se leva tout à coup et regarda sir George Stowecomme il ne l’avait jamais regardé…

À ce point que sir George Stowe tressaillit etfronça ensuite le sourcil.

Sir George Stowe était à Londres chefsuprême ; il ne relevait ou ne croyait relever que de saconscience ; il n’avait par conséquent autour de lui que desesclaves qui ne devaient point se permettre de l’interroger.

Cependant le regard de sir James Nively étaitcalme, hautain, dépourvu de tout respect.

– Ainsi donc, dit-il, vous n’avez rienfait ? vous avez eu peur ?…

L’Anglo-Indien pâlit de colère.

– Esclave, dit-il, oublies-tu donc qui jesuis, pour me parler ainsi ?

Mais sir James Nively continua :

– Il y a ici un esclave et un homme quilui doit obéissance, dit-il. Sir George Stowe, tu as perdu tapuissance, et en vertu des pouvoirs secrets qui m’ont été confiés,je te dépose !

En même temps, le capitaine de cipayes tira unpapier de son sein et le plaça sous les yeux de sir GeorgeStowe.

Ce papier était couvert de signesmystérieux.

Sir George Stowe y jeta les yeux, poussa unnouveau cri, puis tomba à deux genoux devant le baronnet sir JamesNively en disant :

– Pardonnez-moi… c’est vous désormais àqui revient le titre de Lumière. J’obéirai.

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