Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 37

 

Tandis que les Ravageurs soupent auSaumon-Doré, en attendant le lougre qui doit lestransporter en France, – car Rocambole ne se soucie pas de faireprendre le bateau à vapeur à tous ces hommes dont quelques-uns aumoins ont eu maille à partir avec la justice française, – untilbury court sur la route de Douvres.

Le vent est violent, la pluie froide.

Cependant, la grande jument alezane attelée autilbury dévore l’espace.

Deux hommes sont assis dans le tilbury etcausent tout bas.

– Ainsi, dit l’un, qui n’est autre queRocambole, tu as vu Vanda, ce matin ?

– Oui, Maître, répond Noël.

– Elle avait vu sir JamesNively ?

– Oui, Maître.

– Et elle doit m’écrire ?

– Nous trouverons un télégramme àDouvres.

Rocambole rend un peu plus la main à latrotteuse, qui file comme le vent, et retombe dans son mutisme.

Enfin, à travers le brouillard, brillent toutà coup des lueurs rougeâtres.

C’est Douvres qu’on aperçoit dans le lointain,avec sa guirlande de gaz, accompagnement obligé de touterespectable cité anglaise.

Un hipp !vigoureusement accompagné d’un coup de langue, précipite la coursede la jument alezane.

Les lumières grandissent, lebrouillard se dissipe peu à peu et le tilbury, roulant avec fracassur le pavé de Douvres, se rend à la station télégraphique.

 

Rocambole entre dans le bureau en consultantsa montre.

Il est dix heures un quart.

– Je me nomme William Burtrick, dit-il.Avez-vous un télégramme pour moi ?

Rocambole qui, en France, était souvent prispour un Anglais, parle et accentue si purement la languebritannique, que jamais on ne soupçonnerait en lui un Français.

L’employé du télégraphe répond qu’il n’a rienreçu.

Mais au même instant, on entend la sonnetted’appel.

C’est un télégramme qui arrive.

Penché sur l’épaule de l’employé, Rocambolelui voit traduire le nom de William Burtrick.

Le télégramme est pour lui, bien quesimplement signé de V…

Il est ainsi conçu :

« James à nous – tête tournée – partonsce soir, onze heures, Paris. – Rendez-vous mardi – savezoù ?

« V… »

Rocambole n’en veut pas savoir davantage. Ilquitte la station télégraphique et regagne le tilbury dans lequelse tient Noël qui tient les guides.

– Eh bien ? demande Noël.

– Je m’embarque avec vous.

– Ah !

– Je ne veux pas risquer de me trouverface à face avec sir James Nively.

– Mais il ne vous a jamais vu.

– Soit, mais Vanda peut me trahir par ungeste ou un regard, partons !

Et Rocambole, ressaisissant les rênes, lancede nouveau le léger attelage à travers les rues de Douvres, sort dela ville et gagne la route qui longe les falaises du côté deFolkestone.

Il faut une heure et demie à un trotteurordinaire pour franchir la distance qui sépare Douvres de l’aubergedu Saumon-Doré.

Mais la jument que Rocambole conduit est unede ces vaillantes bêtes que rien n’arrête.

En moins d’une heure, le tilbury s’est arrêtéà la porte du Saumon-Doré.

En bas, à quelques encablures du rivage, onaperçoit le fanal du lougre à qui son faible tirant d’eau a permisde s’approcher le plus possible de la côte.

Rocambole entre et trouve les Ravageurs prêtsà partir.

– Le Maître !murmurait-on avec respect.

 

– Allons, mes enfants, dit Rocambole, ilfaut partir.

– Je savais bien, dit Milon avec joie,que le Maître venait avec nous.

– Ah ! fait Rocambole en souriant,tu le savais ?…

– Marmouset ne voulait pas le direpourtant, observa le Chanoine.

– Et il avait une bonne raison pour cela,répond Rocambole, il ne le savait pas lui-même.

– Comment va Gipsy ?

– Toujours folle, toujours frappée deprostration, dit Milon.

– Elle ne peut souffrir auprès d’elle queMarmouset.

– Où est-elle ?

– Là-haut… elle a un peu dormi…

– Va la chercher, il faut partir.

Et Rocambole s’assied devant la table et avalequelques bouchées de pain et de jambon, arrosées d’une pinte d’ale,tandis que les Ravageurs demeurent respectueusement debout derrièrelui.

Milon n’a pas le temps de sortir de lasalle.

La porte qui ferme l’escalier vient des’ouvrir et Gipsy paraît.

La jeune fille abattue et pâle s’appuie surMarmouset avec un affectueux abandon.

Et Marmouset semble la contempler avec unrespect plein d’amour.

Rocambole a vu tout cela d’un coup d’œil et ilsoupire en murmurant :

– Ô la jeunesse !

Mais Gipsy aperçoit Rocambole et pousse un cride joie.

Elle vient à lui, les bras tendus, et luioffre son front en disant :

– Mon Dieu ! je n’espérais plus vousrevoir !…

Rocambole prend la jeune fille dans ses braset répète en regardant les Ravageurs :

– En route !

**

*

Les côtes anglaises ont disparu depuislongtemps dans la brume, et le jour commence à paraître.

Le lougre, dont la marche est pesante, résistebien au gros temps.

Les Ravageurs se sont endormis pêle-mêle surle pont.

À l’arrière, dans l’unique cabine, Gipsy,couchée sur un peu de paille, dort d’un sommeil si paisible, etelle est si pâle, qu’on la dirait morte.

Marmouset, agenouillé auprès d’elle, laregarde et retient son haleine.

Et Marmouset murmure naïvement :

– Comme elle est belle !

Tout à coup une main s’appuie sur sonépaule.

Marmouset se retourne effaré et étouffe un crid’étonnement et de confusion :

– Le Maître !

En effet, Rocambole a surpris ces deuxenfants, l’enfant endormi et l’enfant qui veille.

Mais le front du Maître n’est pointassombri.

Grave, mélancolique, ému, il regarde Marmousetet lui dit :

– L’aimerais-tu ?

Marmouset devint écarlate, puis il couvre sonvisage de ses deux mains, et deux grosses larmes jaillissent autravers de ses doigts.

– Enfant, lorsque le hasard t’a jeté surmon chemin, tu étais au fond de l’abîme, la prison t’ouvrait sesportes, et l’échafaud t’attendait tôt ou tard.

Mais tu as encore du cœur, et les gens de cœurpeuvent être sauvés !

Marmouset s’est précipité aux genoux deRocambole et lui baise les mains.

– Aime-la, dit le Maître, l’amourréhabilite, – l’amour purifie !

Et Marmouset se redresse transformé, le visagebaigné de larmes, mais le regard fier et brillant.

– Maître ! Maître ! dit-ild’une voix émue, je ferai ce que vous voudrez, j’irai où vousvoudrez, je serai honnête et bon, puisque vous le voulez, car vousêtes le premier homme qui m’ait dit que j’avais du cœur !

Et Rocambole, non moins ému, s’éloigna enmurmurant le mot de la comtesse Artoff, de Baccarat la pécheresserepentie :

– Rédemption !…

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