Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 40

 

Vanda se trouvait dans les ténèbres et lespectre avançait vers le lit.

La jeune femme était brave, nous l’avons dit,elle n’était pas superstitieuse et cependant son cœur se serra etune sorte d’angoisse la prit à la gorge.

Les chaînes faisaient sur le parquet un bruitterrible.

Le spectre arriva tout près du lit.

Vanda fut sur le point de crier.

Rocambole n’était-il pas le sang-froid faithomme ?

Vanda se raidit donc contre la peur etattendit.

Le spectre toucha le lit.

Sa main, qui paraissait traîner péniblementune chaîne se promena sur la courtine et rencontra le corps deVanda.

Vanda eut le courage de ne pas crier.

Alors le spectre éclata en sanglots ets’écria :

– Miss Ellen, c’est moi… moi, ta victime…me reconnais-tu ?

Vanda comprit que le spectre croyait avoiraffaire à l’Anglaise qui habitait la chambre.

Dès lors elle n’eut plus peur.

Le spectre, continuant à sangloter, ditencore :

– Tu ne te repentiras donc pas, missEllen ?

Vanda ne répondit point, comme on le pense,mais le spectre reprit :

– C’est une permission de Dieu qui, tôtou tard, punit les méchants et leur inflige un châtimentterrible.

Dieu me permet de sortir de ma tombe chaquenuit pour venir te parler de ton crime et te reprocher ma mort.

Miss Ellen, qu’as-tu fait de tasœur ?

Elle est morte étranglée, n’est-cepas ?

Étranglée par ton ordre ?

Qu’as-tu fait de ton père ?

Ton père, tu le sais, c’est moi et j’ai passédix années au fond d’un cachot, chargé de chaînes comme uncriminel, et j’y suis mort de misère et presque de faim.

Ma mort est ton œuvre !

Et l’enfant de ta sœur, qu’en as-tu faitaussi ?

Tu ne me le diras donc pas ?

Miss Ellen ! miss Ellen ! continuale spectre d’une voix terrible, il en est temps encore,repens-toi !

Cherche l’enfant disparu et rends-lui lafortune que tu lui as volée.

Repens-toi !

Vanda écoutait avidement.

Le spectre était si près du lit que sonsouffle effleurait les mains de la jeune femme.

Vanda fut fixée.

Les spectres n’ont pas d’haleine, pas plusqu’ils n’ont d’yeux.

Les spectres, en admettant que Dieu leurpermette de quitter leur tombe, ne doivent pas se tromper.

Comment celui-ci prenait-il donc Vanda pourmiss Ellen ?

Vanda pensait qu’elle venait de parler à unvivant et que ce vivant jouait quelque terrible comédie depuis biendes années.

Le spectre poursuivit :

– J’ai froid, miss Ellen… Les morts onttoujours froid… j’ai traversé les espaces pour venir… et la routeest longue de ma tombe jusqu’ici…

Repens-toi, miss Ellen, et je ne la quitteraiplus… et je demanderai ta grâce à Dieu…

En parlant ainsi, le spectre se traîna vers lacheminée.

Vanda, en le voyant s’éloigner, respira pluslibrement.

Le spectre s’accroupit devant le foyer,remuant toujours ses chaînes et cherchant à rapprocher des tisonsenfouis sous la cendre, sur lesquels il se prit à souffler.

Quelques étincelles jaillirent, une petiteflamme blanche brilla un moment puis s’éteignit de nouveau.

Mais Vanda avait eu le temps de voir lespectre et de l’examiner.

C’était un grand vieillard vêtu de rouge, avecun suaire blanc sur les épaules.

L’habit écarlate qu’il portait était celuid’un commandant de la marine anglaise.

Il avait une lourde chaîne aux pieds, et sesmains en supportaient une autre plus petite.

Le visage, d’ailleurs, était si parfaitementgrimé et ridé, qu’il était impossible de dire si cette vieillessequ’il accusait était réelle ou simplement apparente.

La flamme s’éteignit, tout rentra dans lesténèbres.

– La dernière fois que je suis venu,reprit le spectre, tu paraissais vouloir te repentir. Tu as pleuré,tu as jeté des cris, tu m’as supplié de rentrer dans ma tombe, enme disant que tu m’obéirais.

Qu’as-tu fait ? Rien.

Aujourd’hui tu ne me réponds même pas. Prendsgarde, miss Ellen, prends garde ! ton châtiment seraterrible !

Et le spectre secoua ses chaînes avecfureur.

Vanda se taisait et n’avait nulle envie derépondre pour miss Ellen.

Le spectre dit encore :

– La nuit tu as peur, le remords te prendà la gorge et tu promets de restituer… Mais le jour vient… et, avecle soleil, les visions de la nuit s’effacent. Ton cœur serendurcit… ô misère ! tu es une abominable créature, missEllen !… parricide et fratricide… ton châtiment seraterrible !…

Le spectre se redressa.

Puis Vanda l’entendit se diriger vers laporte.

Puis la porte se referma derrière lui, et lespas continuèrent à retentir dans le corridor avec un accompagnementde chaînes.

Puis encore ils s’éloignèrent et finirent pars’éteindre tout à fait.

Alors Vanda respira bruyamment.

Mais elle ne put fermer l’œil de la nuit.

Aussitôt que le jour parut, elle se leva,courut à la fenêtre et l’ouvrit.

Le jardin du château s’étendait sous cettefenêtre.

Vanda aperçut sir James qui se promenait enfumant son cigare, et un peu plus loin, cumulant sans doute lesfonctions de palefrenier avec celles de jardinier, le petit Jacquotqui ratissait une allée.

Vanda descendit.

Le grand escalier, le corridor, l’immensevestibule étaient déserts.

Tout dormait sans doute dans le château.

La porte du jardin était ouverte.

Vanda en franchit le seuil.

En la voyant paraître, Jacquot accourut.

– Eh bien ! madame, dit-il vivement,milady n’est pas venue se coucher dans votre chambre aumoins ?

– Non, répondit Vanda.

– Vous n’avez rien entendu ?

– Absolument rien.

– Vous n’avez pas entendu lespectre ?

– Quel spectre ? dit Vandaimpassible.

Jacquot ne voulut pas s’expliquerdavantage.

Seulement, il ajouta d’un ton deprière :

– Madame, vous feriez bien de partiravant que Bob ne soit levé.

Vanda regarda sir James et lui dit :

– Partons !

– Vous savez que je suis votre esclave,répondit l’amoureux baronnet.

**

*

Quelques heures après, le baronnet et Vandaprenaient à Noyon le train express de Paris.

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