Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 13

 

En ce moment-là, Marmouset était grand commele monde.

Rocambole le regardait, et sous le regard dumaître Marmouset tressaillit d’orgueil.

Il avait dix-huit ans, ce gamin-là ; maisil était si petit, si chétif, si malingre, qu’on lui en eût à peinedonné treize ou quatorze.

Le regard seul était viril.

C’était un enfant de Paris, – dans la mauvaiseet pernicieuse acception du mot.

Il était né quelque part, entre lefaubourg et le port de Bercy.

Son père était Ravageur, sa mère vivait mal etde tous les métiers.

Que voulez-vous que devienne le fils d’unvoleur et d’une femme sans mœurs ?

Marmouset admirait Cartouche dont il avait vu,enfant, la sombre histoire coloriée par les imagiers d’Épinal.

Son adolescence avait été bercée de larenommée sinistre de Rocambole.

Il avait assisté à la démolition du Lapinblanc ; il avait fréquenté, aux barrières du sud deParis, des gens qui couchaient sur les fours à plâtre, et selamentaient de la suppression des bagnes, – tant Cayenne épouvantetous ceux qu’on appelle les chevaux de retour.

De bonne heure, il s’était blasé sur lesémotions de la police correctionnelle.

Il allait voir juger comme on va auspectacle.

Sans les huissiers, ses pieds, comme ceux destitis logés dans le cintre de la Porte-Saint-Martin, eussent pendudans la salle.

Et brave, en dépit de tous les mauvaisinstincts ; et généreux à son heure, volant d’une main,faisant l’aumône de l’autre.

Un jour, il avait sauvé la vie à un sergent deville qui se noyait, victime de son dévouement.

Quand on lui parlait de cela, ildisait :

– Le sergent de ville avait quitté sonhabit… sans ça je l’aurais laissé pêcher une friture.

Né de parents honnêtes, élevé avec de bonsexemples sous les yeux, Marmouset eût fait un homme.

Au moment où Rocambole le rencontra, encompagnie du Notaire, de la Mort-des-Braves et du Chanoine,Marmouset prenait tranquillement la route de l’échafaud.

Rocambole était arrivé à temps.

Le cœur et le caractère de Marmouset avaientencore assez de malléabilité pour subir une nouvelle empreinte.

Tel était donc l’enfant qui venait de tuerl’Indien d’un coup de revolver et que Rocambole trouvait tout àcoup venant à son aide.

En voyant Marmouset, ce dernier avait cru queMilon et sa bande volaient à son secours.

Il n’en était rien, Marmouset était seul, etvoici ce qui s’était passé.

Lorsque Rocambole avait donné des ordres àMilon, il ignorait le déménagement des bohémiens, et croyait, parconséquent, que ce singulier mariage, qui allait lui permettre deprotéger Gipsy, aurait lieu auprès de Saint-Paul.

Ce n’était qu’en arrivant chez Gipsy, dansWhite-Chapel, que Rocambole avait trouvé la bohémienne qui venaitles chercher.

Il n’avait donc pas eu le temps de prévenirMilon et de lui indiquer un autre rendez-vous.

Notre vieil ami Milon, on s’en souvient, nebrillait pas précisément par une grande pénétration d’esprit.

Esclave de la consigne qu’il avait reçue,Milon s’en était allé à Saint-Paul.

Les Ravageurs, transportés à Londres, étaientarrivés un à un.

Tous étaient munis d’un revolver, d’un petitcasse-tête recouvert en caoutchouc, et avaient au cou un collier enpeau de requin du nord.

Ce collier armé de pointes, était del’invention de Rocambole.

Dix ouvriers anglais les avaient fabriqués engrand mystère.

Grâce à cette armature d’un nouveau genre, lesÉtrangleurs allaient devenir impuissants.

Or donc, Milon et sa bande furent bientôtréunis.

On obéissait à Milon aveuglément, parce que lemaître le voulait.

On exécutait ses ordres sans réflexions etsans commentaires.

Cependant Marmouset, lui, en sa qualitéd’enfant terrible, se permettait de raisonner.

La bande réunie, Milon dit à sescompagnons :

– Camarades, vous savez pourquoi noussommes ici ?

– Je m’en doute, fit laMort-des-braves.

– C’est rapport au mariage, dit leChanoine.

– Mais où se fait-il donc cemariage ? demanda Marmouset.

– Dans le camp des bohémiens.

– Alors, ce n’est pas ici ?

– C’est ici que le maître nous a dit devenir.

– Bon ! mais les bohémiens n’y sontpas.

– Cela ne me regarde point, ditMilon.

Marmouset voulut discuter.

– Tais-toi, mioche, dit laMort-des-Braves. Le maître a parlé, faut obéir.

Marmouset était indépendant de langage autantque d’allures.

– Je vous parie que j’ai raison,dit-il.

– Tais-toi.

Mais Marmouset ne tint pas compte del’injonction. Il répéta de plus belle que, si les bohémiens étaientpartis, c’est que le mariage se célébrait ailleurs, et que, parconséquent, on ne devait pas rester là.

À quoi Milon, impatienté, lui dit :

– Si tu ne veux pas rester,va-t-en !

Marmouset ne demandait pas autre chose.

Il s’en était donc allé en disant :

– Vous verrez que le maître dira quec’est moi qui avais raison.

Le gamin de Paris ne savait pas un motd’anglais.

En outre, il avait remarqué que le peupleanglais se montrait peu courtois pour les Français.

Mais il avait de l’imagination, et il s’étaitdit :

– Si je parle, comme je ne pourrai parlerqu’en français, on se moquera de moi, si même on ne me joue mauvaistours sur mauvais tours.

Je vais me faire muet.

Les muets sont de tous les pays.

Et quand il se trouvait seul dans les rues deLondres, Marmouset, dont le nouveau costume semblait indiquer unmatelot du commerce, – Marmouset, disons-nous, s’exprimait parsignes.

Il avait beaucoup fréquenté les Funambules enleur bon temps.

Il avait connu un grand mime appelé PaulLegrand, et il lui avait emprunté les plus riches expressions deson répertoire.

Si Marmouset ne savait pas l’alphabet desdisciples de l’abbé de l’Épée, en revanche, il pratiquait unemimique si remarquable, que l’Anglais le plus abruti, fût-ce unânier de Hampstead, ne pouvait hésiter à le comprendre.

Donc, Marmouset s’en alla.

Et avec le flair d’un chien de chasse quirevient au lancer quand il a perdu la voie, il s’en alla tout droitchez Gipsy.

Évidemment Rocambole avait dû partir delà.

Il entra dans le public-house qui se trouvaitau rez-de-chaussée de la maison et se fit, toujours par signes,servir un verre de sherry.

Le public-house était plein de monde.

Un nom voltigeait sur toutes les lèvres :– Gipsy.

– Bon ! pensa Marmouset, on parled’elle. Écoutons.

Il ne comprenait pas l’anglais, nous l’avonsdit, mais il devinait à moitié le sens d’une phrase, pourvu qu’ellefût accompagnée d’un geste.

Or, deux hommes qu’à leur teint bronzé ilreconnut pour des Indiens, avaient prononcé plusieurs fois le nomde Gipsy.

Marmouset se mit à les observer.

Au bout d’un quart d’heure l’un de ces deuxhommes se leva et sortit.

Marmouset jeta trois pence sur la table etquitta le cabaret, suivant l’Indien à distance.

Au coin de la rue, l’Indien fut abordé par unautre.

Soudain, Marmouset, qui s’était effacé dansl’ombre d’une porte, tressaillit.

Il avait reconnu Osmanca.

– Bon ! dit-il, je crois que je suissur la piste. Voilà deux gaillards que je ne lâche plus.

Et il se mit à les suivre obstinément.

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