Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 28

 

Rocambole savait fort bien la puissance dumerveilleux sur ces imaginations à la fois grossières etcorrompues.

Or, cette arrivée, cette mise en scène étaientdu merveilleux au plus haut degré.

Quand la Mort-des-braves avait repêché leMaître à demi noyé, il avait sur lui quelques pièces d’or quiavaient été promptement effarouchées, comme disent lesvoleurs.

À ce point que lorsqu’il était parti avec laMort-des-braves, le Chanoine et Marmouset, cinq jours auparavant,sous prétexte d’aller préparer la petite affaire deVilleneuve-Saint-Georges, la Camarde avait tiré un vieux bas danslequel il y avait un millier de francs et le lui avait offertrespectueusement en lui disant :

– On peut vous faire des avances, à vous,c’est de l’argent sûrement placé.

– Je le crois, avait répondu Rocambole,mais je n’en ai pas besoin, il me reste deux jaunets, danshuit jours j’aurai des billets de mille.

Il était donc parti presque sans argent, avecune mauvaise vareuse et un pantalon de marinier.

Il revenait en voiture à quatre chevaux, avecdes habits de prince et des diamants gros comme des noisettes à sachemise.

Un homme comme cela n’était point un homme,c’était un dieu !

Aussi l’enthousiasme des Ravageurs fut-il àson comble.

Les cris de vive Rocambole !couvrirent un moment la voix du Maître.

Pendant ce temps quelques curieuxs’attroupaient autour du mail-coach.

Bien que la lueur du fanal se propageât toutentière à l’extérieur, il leur avait semblé apercevoir une femme aufond de la voiture.

Rocambole avait fini par rétablir lesilence.

Puis, afin d’être mieux entendu, il étaitmonté sur une chaise au milieu du cabaret.

Les Ravageurs avaient fait cercle autour delui et tous les cœurs battaient d’une curieuse anxiété.

– Mes enfants, leur dit Rocambole, ceuxde vous qui m’ont connu autrefois savent que je netravaille que dans le grand.

Être chef des Ravageurs, faire un coup mesquinpar-ci par-là, c’était bon pour le Pâtissier.

Et il eut un sourire de dédain.

– Je viens vous proposer mieux. Hier,vous n’étiez que des filous, voulez-vous être dessoldats ?

Ces mots produisirent un vif étonnement.

Rocambole poursuivit avec calme :

– Avez-vous entendu parler desamis de Londres ?

– Fameux, ceux-là ! s’écriaMarmouset.

– Eh bien ! je me suis mis en têtede les enfoncer.

– Les pickpockets ?

– Non, les Étrangleurs. Qui a foi en moime suive ! que ceux qui ont peur restent ici !

– Comment ! dit un des Ravageurs,c’est à Londres que nous allons ?

– Oui.

Un autre dit avec cynisme :

– Je n’ai jamais aimé la veuve,ça fait du gâchis. À Londres on vous pend, c’est plus propre.Comptez sur moi, capitaine.

– Mais vous allez me ruiner, mon petitpère ? dit la Camarde d’un ton larmoyant, vous les avezensorcelés, ils vous suivront tous.

– J’y compte bien, réponditRocambole ; mais rassurez-vous, ma petite mère, il nous fautdes correspondants à Paris et on a pensé à vous.

– Bon !

– Et puis, nous reviendrons bientôt.

Ils étaient bien une vingtaine dans lecabaret, tous hommes résolus, énergiques, qui, dans une voiemeilleure, eussent fait merveille.

Tous s’écrièrent :

– À Londres ! à Londres !

Alors Rocambole tira de sa poche une boursedont il répandit le contenu sur une table.

À leur grand étonnement, les Ravageurss’aperçurent que les pièces qui s’en échappaient étaient des jetonsde cuivre portant un numéro d’ordre.

– Écoutez-moi bien, maintenant, leur ditRocambole. Je pars là-bas, cette nuit même, pour toutorganiser.

Mais comme bien vous pensez, je ne vous emmènepas tout de suite, et je n’ai pas besoin de vous avant sept ou huitjours.

Vous allez prendre chacun un de cesnuméros.

Puis, demain, vous vous en irez un à un, enprenant soin de ne pas être remarqués, rue Lafayette, à Paris, enface la nouvelle gare du Nord.

Là vous verrez un écriteau sur lequel il y aécrit en lettres rouges :

Bureau pour l’émigration.

Vous monterez et vous trouverez un gros hommedéjà vieux qui s’appelle Mison.

Vous lui présenterez votre numéro, en échangeil vous remettra à chacun quinze louis, un passe-port et un billetpour l’Angleterre.

C’est aujourd’hui jeudi.

Il faut que dans huit jours, vous soyez tous àLondres.

– Où nous retrouverons-nous ?demanda le Notaire.

– Il y a à Londres, poursuivit Rocambole,un quartier populeux dans lequel on arrive après avoir passé lepont de Waterloo, c’est le Wapping.

Dans ce quartier, il y a une taverne bienconnue, à l’enseigne du Roi George.

C’est là que vous vous présenterez enarrivant.

Le tavernier est encore unami, il vous dira où vous me trouverez.

Sur ces mots, Rocambole se mit à distribuerles places aux Ravageurs.

Aucun ne refusa, pas un même n’eut un momentd’hésitation.

Tous prirent le jeton avec empressement.

La Pie-borgne se présenta la dernière.

Elle avait beaucoup jacassé avantl’arrivée du Maître.

Mais lorsqu’elle l’avait vu paraître si bienficelé elle était devenue toute timide.

– Vous m’emmenez aussi, moi, n’est-cepas ? dit-elle en tremblant.

– Tu es trop jolie pour qu’on te laisse,répondit galamment Rocambole.

La Pie-borgne prit cette réponse pour unedéclaration.

Et elle se jeta au cou du Maître en luidisant :

– Oh ! si tu savais comme jet’aimerai !

Mais, comme elle disait cela, la portière dumail-coach s’ouvrit et une femme en descendit.

Et, à la vue de cette femme, les Ravageurs sesentirent pris d’un étrange sentiment de respect et courbèrent latête sous son regard dominateur.

Elle s’avança, majestueuse et calme, comme unereine au milieu de son peuple.

Puis elle posa sa belle main nerveuse etsouple sur l’épaule de la Pie-borgne toute frémissante et pâlecomme une morte.

– Tu n’es pas dégoûtée, ma petite,dit-elle.

Rocambole lui prit la main et la tournant versles Ravageurs :

– Vous voyez bien madame, dit-il ;eh bien ! c’est une autre moi-même, et vous lui obéirez commeà moi.

Cette femme, est-il besoin de le dire, –c’était Vanda la Russe, celle qui s’était écriée au bord del’eau :

– Non, Rocambole n’est pasmort !

**

*

Quelques minutes après, Rocambole et Vandamontaient en voiture, et tandis que le mail-coach disparaissaitdans un nuage de poussière, le Maître disait à Vanda :

– Enfin, je me suis donc taillé unebesogne digne de nous !

À nous les Étrangleurs !

Vanda lui jeta ses deux bras autour ducou :

– Tu vois bien, dit-elle, que tu n’avaispas le droit de mourir !

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