Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 4

 

Pendant un moment, sir George Stowe futtellement bouleversé, qu’il se demanda s’il n’était pas le jouetd’une illusion.

Mais miss Cécilia s’était dirigée vers levestibule dans lequel brûlait une petite lampe suspendue auplafond.

Là, elle s’arrêta, et se débarrassa de sonmanteau.

Puis, elle attendit que sir George Stowevoulût bien la rejoindre.

Enfin, celui-ci fit un violent effort, assezsemblable à celui d’un homme qui s’arrache à un cauchemar, et ilfit quelques pas vers Cécilia.

La jeune fille s’était assise sur cettebanquette qui, chaque nuit, servait de lit à John.

Pendant les quelques secondes qui venaient des’écouler, sir George Stowe avait eu le temps de reprendre sonsang-froid.

Il eut même la force de ramener un sourire surses lèvres.

Le sourire de l’homme heureux.

– Chère et excentrique Cécilia, dit-il envenant à elle et en voulant de nouveau lui prendre les mains, vousvoyez un homme qui croit rêver.

– Monsieur, lui dit Cécilia, je vienspour avoir avec vous une explication.

Sir George Stowe avait rallumé son flambeau àla lampe du vestibule.

Il ouvrit la porte du petit salon qui setrouvait au rez-de-chaussée.

Puis, il s’effaça pour laisser passer missCécilia.

La jeune fille entra et s’assit.

Sir George Stowe demeura debout devantelle.

Elle attachait sur lui un regardfroid :

– Je vous aimais, il y a deux heuresencore, dit-elle.

Une pâleur nerveuse se répandit sur le visagedu gentleman.

Et chose bizarre ! cette pâleur touchamiss Cécilia. Sa voix fut moins brève, son accent plus doux.

– Sir George, dit-elle, où êtes-vousici ?

– À Londres, miss.

– Quelle est votre religion ?

Cette question directe le trouvaimpassible :

– Miss, répondit-il, mon père étaitIndien, ma mère était Anglaise. À vous dire vrai, je n’ai jamaisoccupé mon esprit de choses religieuses.

– Alors vous ne croyez pas au dieuWichnou ?

– Peuh ! fit l’Anglo-Indien.

– Croyez-vous au Christ ?

– Je ne sais pas, dit-il avec une naïvetéqui lui ramena Cécilia un moment.

– C’est-à-dire que vous n’avez pas dereligion ?…

Sir George Stowe, en répondant avec lenteur etse laissant adresser une question après l’autre, avait eu le tempsde se remettre complètement sur la défensive et de préparer unpetit thème.

– Miss Cécilia, dit-il, je vous aime, etl’amour que vous m’inspirez est assez grand pour que j’ose vousdire toute la vérité et vous raconter mon histoire.

Miss Cécilia ne demandait pas mieux que devoir sir George Stowe se disculper :

– Je vous écoute, dit-elle.

– Je vous l’ai dit, reprit-il, mon pèreétait Indien, ma mère était Anglaise.

Dans ma jeunesse, on m’a initié au culteindou. J’ai adoré tous les dieux possibles, sans trop de ferveur dureste.

Tandis que mon père me racontait lesincarnations de Wichnou, ma mère me conduisait au temple. Ilrésulte de tout cela que je ne suis ni chrétien, ni sectateur deWichnou.

Je ne crois pas, parce qu’on ne m’a rienappris. Qu’un ministre du Dieu que vous adorez me prêche la paroledivine, et je me ferai chrétien.

– Vrai ? dit miss Cécilia.

– Vous savez bien que je vous aime,dit-il, évitant ainsi de faire un serment.

– Mais enfin, vous avez chez vous unepagode ?

– Oui, dit-il franchement.

– Et dans cette pagode un poisson.

Il eut la force de sourireaffirmativement.

– Ce poisson, croyez-vous, renferme l’âmede votre père ?

– Mais non, dit sir George Stowe.

Miss Cécilia respira.

Et continuant à sourire, sir George Stowe luidit :

– J’obéis, je l’avoue, à une superstitionindienne. Dans chaque maison, sous chaque toit, se trouve unpoisson pêché dans le Gange, c’est notre grillon du foyer, ànous.

– Mais vous ne l’adorez pas ?

– Ah ! miss, fit le gentleman avecun accent de reproche.

Miss Cécilia se leva, puis le regardantfixement :

– Ainsi vous changeriez dereligion ?

– Certainement.

– Si je vous accordais ma main, vousm’épouseriez à l’église cathédrale de Londres ?

– Mais sans doute…

Et sir George Stowe avait su donner à saphysionomie une expression de franchise et de naïveté qui opéraitun changement complet dans le sentiment de miss Cécilia.

– Mais enfin, dit-il en souriant, commentavez-vous su tout cela ?

À cette question, miss Céciliatressaillit.

Elle avait oublié, – elle se souvint.

– Sir George, dit-elle, connaissez-voussir Ralph Ounderby ?

– Non, dit-il.

Et son visage, tant cet homme était maître delui, n’exprima qu’un étonnement naïf.

– Sir Ralph, poursuivit miss Cécilia, ademandé ma main, il y a deux ans.

Le gentleman fronça un peu le sourcil.

– Eh bien ? fit-il en regardant missCécilia.

– Sir Ralph savait que vous m’aimiez… sajalousie l’a rendu curieux…

– Et c’est lui qui vous a raconté…

– Non pas à moi, mais à un ami qui me l’arapporté…

– Eh bien ! je l’inviterai à maconversion, dit en riant sir George Stowe.

Miss Cécilia le regardait et sedisait :

– Il est impossible que cet homme memente ainsi. C’est la première fois qu’il entend parler de sirRalph Ounderby.

Cependant, elle reprit.

– Sir Ralph n’assistera plus à rien.

– Pourquoi ?

– Parce qu’il est mort la nuitdernière.

– Ah !

Et, dans cette exclamation, sir George Stowemit un tel accent de surprise, que miss Cécilia ne douta plus.

Elle tendit vivement la main à celui qu’elleaimait, et lui dit d’une voix émue :

– Oh ! j’ai été folle…pardonnez-moi…

– Que voulez-vous dire ?

– Rien…

– Cécilia !…

Et il joignit les mains et la regarda d’un airsuppliant.

– Eh bien ! dit-elle, pendantquelques heures, je vous ai haï, méprisé.

– Moi ?

– Je vous ai accusé de la mort de sirRalph !

Sir George leva la main et ditgravement :

– Je vous jure, miss Cécilia, que je suisinnocent de cette mort.

– C’est bien, dit-elle, je vous crois… etje serai votre femme !

Et elle s’enfuit à travers le jardin, dont sirGeorge Stowe avait laissé la porte ouverte.

Elle était déjà loin, que l’Anglo-indienpassait encore la main sur son front et se remettait lentement del’émotion qu’il avait éprouvée.

– Ouf ! dit-il enfin, je reviens deloin… mais Arthur Newil me payera cher son intempérance delangue !

Et comme il faisait ce serment de mort, unhomme se précipita dans le petit salon en s’écriant :

– Lumière, la déesse Kâli esttrahie ! Gipsy la bohémienne a un amant !

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