Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 9

 

Revenons à Rocambole que nous avons laisséglaçant d’épouvante sir George Stowe, lorsque ce dernier avaitaperçu au travers de la chemise flottante la terrible marque desfils de Sivah sur sa poitrine.

L’honneur avait été déclaré satisfait par lestémoins.

On s’était séparé, et tandis que sir GeorgeStowe revenait à Londres en voiture, Rocambole prenait le chemin defer.

Il avait laissé Vanda sous la garde de Milonet Gurhi sous la garde de Vanda.

La petite maison occupée par Vanda avait sonaspect ordinaire lorsque Rocambole arriva.

Les volets étaient clos, – il était à peineneuf heures et demie, une heure fabuleusement matinale à Londres,où l’on fait du jour la nuit.

Rocambole avait une clé.

Il entra, traversa le vestibule et entenditles deux bonnes anglaises qui se querellaient à la cuisine, situéedans le sous-sol.

Puis il monta au premier étage.

À son étonnement il trouva la porte de lachambre de Vanda ouverte.

Il l’appela.

Vanda ne répondit point.

Il appela Milon.

Le vieux compagnon de Rocambole dormait fortpaisiblement.

La voix de son maître l’ayant éveillé ensursaut, il accourut en chemise.

Mais déjà Rocambole était dans la chambre deVanda et jetait un cri terrible.

La jeune femme était renversée dans lefauteuil où elle s’était endormie.

Rocambole l’avait appelée par trois fois, etVanda ne sortait pas de son sommeil.

Alors, il s’était arrêté, l’angoisse au cœur,la sueur au front, n’osant faire un pas vers elle et latoucher.

Il lui semblait qu’elle était morte.

Il se retourna au bruit des pas de Milon quidisait de sa grosse voix :

– Qu’y a-t-il donc ?

Mais il vit Rocambole si pâle qu’il se tut etcomme lui, n’osa faire un pas.

Cependant Vanda était toujours immobile, et ils’écoula dix secondes qui furent pour Rocambole une éternité.

Enfin, il jeta un nouveau cri.

Il lui avait semblé que le sein de la jeunefemme était soulevé par une respiration égale et calme.

Et, s’approchant, il lui mit la main sur lecœur.

Le cœur battait.

– Vanda, cria-t-il de nouveau,Vanda ?

Et il la secoua sans pouvoir l’éveiller.

Mais alors il entendit un sifflement et lavipère jaune s’échappa du corsage de Vanda et alla s’arrondir surle parquet.

Rocambole mit le pied dessus et l’écrasa.

– Je comprends tout maintenant,dit-il.

En même temps, il poussa le fauteuil et entradans la chambre de Gurhi.

La chambre était vide.

– Bon ! dit Rocambole, faisant appelà ce sang-froid de lion qu’il avait dans les moments terribles, ilest inutile de demander l’explication du mystère.

En voulant effrayer sir George Stowe, j’airassuré Gurhi. La faute est à moi et non aux autres.

Milon, les cheveux hérissés, n’osait regarderVanda.

– Imbécile ! lui dit Rocambole, vadonc me chercher là-bas, dans la salle à manger, cette petitecaisse de voyage qui contient différents flacons.

Milon obéit.

Rocambole se mit en devoir de déshabillerVanda et de mettre sa poitrine à nu.

Vanda avait au-dessous du sein gauche lapiqûre de la vipère.

Rocambole ramassa les chairs entre ses deuxdoigts et les pressa très fort.

Une goutte de sang noir sortit de la piqûre,qui n’était pas plus grosse que celle d’une épingle.

– Heureusement, murmura-t-il, qu’on nemeurt pas de la morsure de la vipère jaune. Mais Gurhi me le paieracher.

Milon revint avec la caisse de voyage.

C’était une petite boîte en cuir de Russie,séparée en deux compartiments.

Rocambole l’ouvrit et prit dans un coin unpetit flacon qu’il déboucha.

Puis aidé de Milon, il desserra les dents deVanda toujours en léthargie et lui introduisit dans la bouchequelques gouttes du contenu du flacon.

L’effet fut instantané.

Vanda s’agita, eut quelques convulsions etfinit par ouvrir les yeux.

– Qu’est-ce donc ? fit-elle enlevant sur Rocambole un regard surpris.

– Rien, répondit-il, si ce n’est que tut’es laissé rouler, ni plus ni moins que ce niais de Milon qui meregarde encore sans comprendre.

Gurhi est parti.

– Gurhi ! exclama Vanda.

– Regarde plutôt !

Et ouvrant toute grande la porte de lachambre, il lui montra le lit de l’Indien qui était vide.

– Je suis une misérable, Maître, s’écriala jeune femme avec un accent de désespoir.

– Ce n’est pas ta faute, dit Rocambole,c’est la mienne.

Puis, regardant Milon :

– À présent, dit-il, au lieu de nousdésoler et de nous faire de mutuels reproches, il s’agit de réparerle mal.

– Que faut-il faire ? demandaMilon.

– Il faut réunir tous les hommes.

– Quand ?

– Aujourd’hui même. J’en aurai besoin cesoir.

– Ce sera fait. Où est lerendez-vous ?

– À la taverne du RoiGeorge.

– À quelle heure ?

– À huit heures du soir. Mais tu n’as pastrop de la journée pour les réunir. Va !

Milon avait craint la colère du Maître. Ilrespira bruyamment.

Il était heureux d’en être quitte à si bonmarché.

Alors Rocambole dit à Vanda :

– C’est ce soir que je joue ma premièrepartie contre les Étrangleurs.

Avant le départ de Gurhi, elle était gagnéed’avance.

Mais à présent, tout est remis en cause.

– Maître, dit Vanda, n’auras-tu pasbesoin de moi, ce soir ?

– Non. Mais demain. Probablement je teconfierai ma femme.

– Ta femme !

Et Vanda se dressa stupéfaite etpâlissante.

Un sourire glissa sur les lèvres deRocambole.

– Rassure-toi, dit-il, c’est une femmein partibus. Je me marie selon le rite bohémien… encassant une cruche vide.

Et comme Vanda continuait à ne pas comprendreet le regardait :

– Tu penses bien, dit-il, que Nadéïan’est pas la seule femme consacrée à la déesse Kâli.

– Eh bien ?

– J’en ai trouvé une autre, une fille debonne maison, cachée par des bohémiens.

Et Rocambole raconta à Vanda ce qu’il savaitde l’histoire de Gipsy.

– Mais, dit Vanda, lorsqu’il eut terminéson récit, ne t’exposes-tu pas, Maître, au plus terrible desdangers ?

– Peut-être…

– Et cette bohémienne t’inspire-t-elledonc tant d’intérêt que tu veuilles la sauver absolument ?

– Il faut engager la lutte, ditRocambole.

Puis, après un moment de silence, pendantlequel Vanda le regardait avec une naïve admiration :

– Crois-tu donc, dit-il, que j’aieconsenti à rentrer dans la vie, moi qui ne demandais plus que lerepos éternel, pour mener l’existence d’un bon bourgeois ?

– C’est juste, murmura Vanda avec unsoupir.

Rocambole avait baissé la tête, et une larmes’échappant de ses yeux tomba brûlante sur la main de Vanda.

Elle tressaillit et lui dit d’une voixémue :

– Tu souffres donc bien ?

Mais, à ces paroles, il se redressa, son œileut un éclair, sa tête se porta fièrement en arrière :

– La douleur purifie ! dit-il.

Vanda ne répondit pas ; mais elle sedisait tout bas :

– Ah ! pourquoi donc a-t-ilrencontré Madeleine ? Cet amour sans espoir, c’estl’expiation !

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