Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 34

 

Huit jours s’étaient écoulés.

Sir James Nively, qui habitait depuis peu untrès bel appartement meublé dans Piccadilly, à l’hôtel duPrince-Régent, avait passé ces huit jours dans une certaineanxiété.

Il n’avait pas revu sir George Stowe.

L’Anglo-Indien n’avait reparu ni à la pagodede Hampstead ni à son propre domicile depuis cette nuit féconde enévénements où il avait brisé le bassin dans lequel l’âme de sonpère nageait sous la forme d’un petit poisson rouge.

Mais ce n’avait été qu’au bout de trois joursque sir James Nively, le nouveau chef des Étrangleurs, s’était misà sa recherche.

Une réflexion assez naturelle avait empêché lebaronnet de le faire au plus tôt.

– Sir George Stowe, s’était-il dit, neveut paraître devant moi que réhabilité. Il a sans doute à cœur deme prouver qu’il ne mérite point toutes mes sévérités et va venirm’annoncer son prochain mariage avec miss Cécilia.

Cette supposition était assez sage, du reste,pour que le baronnet se tînt tranquille trois jours, soignât sablessure et attendit le retour de sir George Stowe.

Cependant, comme celui-ci ne reparaissait pas,vers le soir du troisième jour, sir James Nively commença à froncerle sourcil.

Que signifiait cette absenceprolongée ?

Sir James quitta la pagode de Hampstead, unsoir, en grand mystère, et se fit conduire dans Haymarket.

Il sonna plusieurs fois à la porte de sirGeorge Stowe et n’obtint pas de réponse.

Le mur du jardin n’était pas très élevé.

Sir James donna dix guinées au cocher du cabqui l’avait conduit et lui dit :

– Cette maison est celle d’une femme quej’aime, pour qui je me ruine, et que je soupçonne de metromper.

– J’ai compris, murmura le cocher.

Sir James fit ranger le cab tout contre lemur, grimpa à côté du cocher, passa du siège sur la capote du cabet sauta lestement à califourchon sur le mur.

Puis il se laissa glisser dans le jardin.

Le jardin était désert, la porte de la maisonfermée.

Sir James enfonça la porte d’un coup d’épauleet se trouva dans le vestibule.

Un assez grand désordre y régnait, comme ilput le constater en allumant une de ces bougies de poche anglaisesqui brûlent jusqu’à trois minutes de suite.

À l’aide de cette bougie, sir James monta aupremier étage, où il se procura un flambeau, grâce à une secondebougie.

Un spectacle assez étrange s’offrit alors auxregards du baronnet.

La porte de la pagode, cette porte toujoursfermée ordinairement, était grande ouverte.

Sir James y entra.

La statuette en bronze représentant la déesseKâli et les débris du bassin en miniature gisaient sur le sol,pêle-mêle avec le poisson que sir George Stowe avait écrasé sousson pied.

La chose était évidente : l’Anglo-Indienavait brisé ses idoles.

Mais était-ce une preuve detrahison ?

Assurément, non.

Sir James ne s’était-il pas évertué àdémontrer à Sir George Stowe que le but des Étrangleurs étaitpurement politique ?

Sir James ouvrit tous les meubles, fouilladans tous les tiroirs, retrouva des lettres et des papiers, desbanknotes et de l’or.

C’était encore une preuve que sir George Stowen’était qu’absent et qu’il comptait revenir chez lui.

Mais où était-il ?

Là était le mystère.

Sir James regagna la rue par le même chemin,c’est-à-dire en escaladant de nouveau le mur, en sautant du mur surle cab et de l’extérieur du cab à l’intérieur.

Puis il se fit conduire au club deWest-India, dans Pall-Mall.

Les salons du club étaient pleins de monde,encombrés d’une foule inaccoutumée.

On y parlait haut et les exclamations desurprise se croisaient dans l’air.

La conversation, qui paraissait générale,était même si animée que sir James Nively entra et se faufila aumilieu d’un groupe de gentlemen sans qu’on fît attention à lui.

– C’est incroyable ! disaient lesuns.

– Tellement incroyable, répondit ungentleman déjà vieux, que j’attends d’avoir vu lord Harris pour yajouter foi.

– Gentleman, représentait un jeune hommed’un ton railleur, en vérité, croyez-moi, miss Cécilia nous a renduà tous un signalé service, en refusant notre main.

Le nom de miss Cécilia avait fait tressaillirsir James Nively.

Tout à coup un membre du clubl’aperçut :

– Tiens, dit-il, voici le baronnet, jegage qu’il sait l’affaire dans tous ses détails.

– Quelle affaire ? demanda sirJames.

– N’êtes-vous pas l’ami de sir GeorgeStowe ?

– Sans doute.

Et sir James tressaillit de nouveau.

– Alors vous savez tout ?

– Mais quoi donc ?

– Sir George Stowe a enlevé missCécilia.

L’étonnement qui se peignit sur le visage desir James prouva aux honorables membres du club duWest-India qu’il ne savait absolument rien et que sirGeorge Stowe ne l’avait point mis dans la confidence de sesprojets :

– Voyons, messieurs, dit-il, de quoiest-il question ?

– On vous le dit : sir George Stowea enlevé la nuit dernière miss Cécilia.

– De son plein gré ?

– Naturellement.

– Je croyais, dit froidement sir James,qu’on lui avait accordé la main de la belle miss.

– Non, au dernier moment la mère et lepère ont refusé leur consentement.

– Et l’oncle ?

– Pareillement.

– Alors il l’a enlevée ?

– C’est-à-dire qu’hier soir, dit le jeunehomme qui paraissait tout à fait renseigné, miss Cécilia a prétextéune indisposition et s’est retirée dans ses appartements.

– Et puis ?

– Une heure après, elle quittait l’hôtelpar une porte dérobée, en compagnie d’une femme de chambre, serendait au railway de Douvres où sir George Stowe l’attendait, etils étaient à Calais ce matin, au moment où ses parents, inquietsde ne point la voir paraître, pénétraient dans sa chambre ettrouvaient une lettre dans laquelle elle leur faisait part de sarésolution.

Sir James Nively était un peu stupéfait.

Cependant son visage demeura impassible.

– Voilà qui est bien joué, pensa-t-il, etsir George Stowe se réhabilite complètement à mes yeux.

Puis il fit la réflexion que l’Anglo-Indienn’avait pu quitter Londres sans lui écrire un mot, et qu’iltrouverait une lettre en arrivant à son appartement dePiccadilly.

Il s’esquiva donc du club et se fit conduiredans Piccadilly.

Il y avait bien une lettre, mais elle n’étaitpas de sir George Stowe.

L’écriture, qui était évidemment celle d’unefemme, était inconnue du baronnet.

Sir James ouvrit la lettre, courut à lasignature et trouva un nom aussi inconnu pour lui que lasignature :

Vanda.

Alors, de plus en plus étonné, il lut…

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