Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 46

 

Quelques heures après celle où Vanda et lebaronnet sir James Nively couraient en train express sur la routede Paris, c’est-à-dire vers midi, le héros de cette histoire,Rocambole, longeait le boulevard des Capucines, les mains dans lespoches d’un vaste paletot de couleur blanchâtre, un foulard enguise de cache-nez autour du cou, et marchait d’un pas assezrapide.

Où allait-il ?

Sans doute à quelque rendez-vous lointain, caril fit signe au premier cocher de remise qu’il rencontra, monta envoiture et indiqua la rue Serpente comme lieu de destination.

Ceux de nos lecteurs qui se souviennent encorede la première partie de ce récit, n’ont pas oublié que c’était rueSerpente que la mère de Noël, dit Cocorico, était portière, et quec’était dans cette maison que l’ancien forgeron du bagne de Toulonavait trouvé un asile, après cette audacieuse évasion préparée etmenée à bonne fin par Rocambole.

Vingt minutes après, Rocambole arrivait doncrue Serpente.

Noël l’attendait.

La première question de Rocambole futcelle-ci :

– Vanda est-elle arrivée ?

– Maître, répondit Noël, rien de nouveau.J’attendais madame hier soir ; ce matin, avant le jour, jesuis allé au chemin de fer du Nord. L’express de Londres arrive àcinq heures trois quarts. Tous les voyageurs ont passé devantmoi.

– Elle n’y était pas ?

– Non.

– C’est bizarre ! murmuraRocambole.

– Mais, reprit Noël, j’ai appris que letrain avait déraillé à Amiens. Aucun voyageur n’a péri. Seulementune partie de ceux qui se trouvaient dans le convoi s’est arrêtée àAmiens. Je suis donc à peu près convaincu…

Noël n’acheva pas, car un coup de sonnetteretentit dans la loge et sa mère tira le cordon aussitôt.

Rocambole tressaillit.

Une femme venait de franchir le seuil de laporte, et bien qu’elle fût enveloppée d’un grand manteau et que sonvisage fût couvert d’un voile épais, Rocambole la reconnut.

C’était Vanda.

Elle se jeta dans ses bras et luidit :

– Ah ! enfin, je teretrouve !

Noël avait meublé dans la maison une petitechambre, dans laquelle Rocambole conduisit Vanda.

Celle-ci, à peine la porte fermée, luidit :

– Je suis arrivée, il y a une heure, etj’ai eu toutes les peines du monde à m’échapper, car le baronnet seconduit déjà avec moi comme un amant jaloux, bien qu’il n’ait pasmême effleuré mes doigts de ses lèvres.

Rocambole eut un sourire.

– As-tu ses secrets au moins ?dit-il.

– Non, pas encore.

– Je voudrais cependant savoir l’histoirede Gipsy ; cette histoire que sir George Stowe n’a pu nousdire.

– Et si j’en savais une partie ? ditVanda.

– Que veux-tu dire ?

– Si le hasard m’avait mise sur la traced’un premier filon ? continua Vanda.

– Explique-toi, dit Rocambole.

– Gipsy est riche… riche à millions.

Rocambole regardait Vanda avec un étonnementcroissant.

Alors Vanda lui raconta les événements de laveille, c’est-à-dire l’accident arrivé à Amiens, le voyage enchaise de poste et l’hospitalité que le baronnet sir James Nivelyet elle avaient reçue au manoir de Rochebrune.

Enfin l’apparition du spectre et ses étrangesdiscours.

– Ou je me trompe fort, acheva-t-elle, oula bohémienne dont parlait le prétendu revenant n’était autre queGipsy.

Rocambole avait écouté le récit de Vanda avecune grande attention.

Quand elle eut fini, il lui dit :

– J’ai mis Gipsy en lieu sûr, Marmousets’est constitué son gardien.

– Et sir George Stowe ?

– Il est caché dans un hôtel du quartierSaint-Germain. Je lui ai intimé l’ordre de n’en point sortir lejour.

Mais ce que tu viens de m’apprendre me forceraà lui défendre de sortir même le soir jusqu’à mon retour : ilne faut pas que sir Nively le rencontre.

– Ton retour ? fit Vanda, tu parsdonc ?

– Parbleu ! répondit Rocambole, jevais aller faire un tour au château de Rochebrune, et causer unbrin avec le spectre.

**

*

Vingt-quatre heures après, en effet, Rocamboledescendit du train-poste, à la station la plus proche du châteauhabité par milady et son intendant.

Les indications que lui avait données Vandaétaient si précises qu’il trouva le chemin de la vallée et vitbientôt poindre dans le lointain les tourelles du vieux manoir.

La vallée était déserte, la matinéepluvieuse.

Rocambole avait fait le voyage seul, sansautre bagage qu’une petite valise qu’il portait à la main.

Or, en rapprochant les dates, il est facile dese convaincre qu’il arrivait quelques heures après les derniersévénements dont le manoir des Rochebrune avait été le théâtre.

Il s’attendait à voir le château morne,silencieux, plein de mystère.

Il fut donc très étonné d’apercevoir un groupede paysans accourus des fermes voisines et qui se pressaient à laporte.

Une sorte d’effarement se peignit sur leursvisages.

Au milieu d’eux un jeune homme pérorait.

Rocambole, au portrait que lui en avait faitVanda, reconnut Jacquot.

Il s’approcha sans que personne fît attentionà lui.

Tous les regards étaient concentrés surJacquot, toutes les oreilles tendues pour recueillir sesparoles.

Jacquot racontait les événements de lanuit.

D’abord, les gens du château qui couchaientdans un pavillon isolé, avaient entendu, un peu après minuit, ladétonation d’une arme à feu.

Mais ils n’avaient osé bouger.

Seulement, une heure après, Jacquot avaitentendu la voix de milady.

Milady l’appelait.

Il était sorti du pavillon et la châtelaine,qu’à son grand étonnement il avait vue en compagnie d’un inconnu,lui avait commandé de lui seller ses chevaux.

Jacquot avait obéi.

Milady et son compagnon s’étaient mis en selleet étaient partis au galop.

Le jour venu, Jacquot s’était hasardé à entrerdans le château.

Dès le vestibule, il avait entendu desgémissements.

Il était monté au premier étage, et, guidé parles gémissements, il était arrivé et avait trouvé Bob baigné dansson sang, mais respirant encore.

À ce moment du récit de Jacquot, Rocambolejoua des coudes, fendit la foule et dit au petitdomestique :

– Vit-il encore ?

– Oui, répondit Jacquot ; mais jecrois bien qu’il n’en a pas pour longtemps.

– Je suis médecin, dit Rocambole.

Et il se fit jour à travers les paysans etentra d’autorité dans le château.

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