Le Dernier mot de Rocambole – Tome I

Chapitre 14

 

On devine le reste.

Marmouset avait suivi Osmanca et son complicejusqu’aux portes de Londres.

Là, il les avait vu s’engager dans la plaineet prendre un chemin qui se dirigeait vers cette lueur rougeâtrequi indiquait le camp des bohémiens.

Et, bien qu’il ne comprît pas ce qu’ilsdisaient, car ils continuaient à s’exprimer en anglais, il entenditle mot générique gipsy, qui signifie bohémien, sortir deleur bouche, en même temps qu’ils étendaient la main vers la lueurrougeâtre.

Dès lors Marmouset fut fixé.

Quand Osmanca et son complice se cachèrentdans les buissons, Marmouset demeura à une certaine distance et enfit autant.

De là le coup de revolver qui avait jeté parterre l’Indien et sauvé Gipsy.

Rocambole s’était penché sur la jeune filleavec une vive anxiété.

Il craignait que le coup de revolver ne l’eûtatteinte.

Il n’en était rien.

Gipsy s’était évanouie, au moment même oùRocambole tombait et où l’Indien la pressait dans ses bras.

Rocambole ne perdit pas un temps précieux àdemander des explications à Marmouset.

Il se contenta de lui dire :

– Te voilà, c’est bien. Il n’y a que toid’intelligent.

Avec un pareil éloge, on eût mené Marmouset aubout du monde.

Rocambole avait toujours, depuis qu’il était àLondres, un petit flacon de sels suspendu à son cou.

Il se mit en devoir de le faire respirer àGipsy.

La jeune fille poussa un soupir, rouvrit lesyeux, et, revenant à elle, reconnut Rocambole.

– Mon Dieu ! dit-elle, que s’est-ildonc passé ?

– Il s’est passé, répondit Rocambole,qu’on a essayé de m’étrangler et qu’on n’y a pas réussi.

En même temps il souriait, et Gipsy vit bienqu’il était sain et sauf.

– Mais un homme m’a pris dans ses bras,dit-elle en se relevant. Oh ! son souffle était sur moi commecelui d’une bête fauve.

– Il ne vous portera plus, ditRocambole.

Et il poussa du pied l’Indien qui continuait àse tordre sur le sol.

Gipsy fit un geste d’effroi.

Puis elle considéra Rocambole avec une sorted’admiration naïve.

– Quel homme êtes-vous donc ?fit-elle.

– Un homme qui vous protège et ne s’estpoint vanté, dit Rocambole. Allons, venez ! il est tard… et ilfaut rentrer à Londres…

Gipsy, à qui le sentiment de la réalité étaitrevenu tout à fait, songea à sir Arthur Newil qui l’attendait.

– Vous avez raison, dit-elle,marchons.

Elle reprit le bras de Rocambole et s’y appuyaavec une confiance ingénue.

– Marche en avant, petit ! ditRocambole à Marmouset.

Marmouset, son revolver à la main, ouvrit lamarche avec la dignité d’un suisse de paroisse précédant unenoce.

Rocambole et Gipsy se remirent en marche, – lajeune fille, toute tremblante encore, mais ayant foi alors plus quejamais, depuis ce qui venait de se passer, en la puissance de sonprotecteur.

– Gipsy, disait Rocambole tout bas,tandis qu’ils approchaient de Londres, vous pensez bien que vous,chrétienne, et moi, chrétien, nous ne pouvons considérer comme unmariage cette stupide cérémonie qui vient d’avoir lieu.

– Oh ! non, certes ! fitGipsy.

– Par conséquent, poursuivit Rocambole,je suis votre ami et rien de plus. Je coucherai cette nuit sur leseuil extérieur de votre porte, mon poignard et mes pistolets à maceinture.

Puis, demain, je verrai à vous mettre tout àfait en sûreté contre les Étrangleurs.

– Mais vous ne craignez donc rien pourvous-même ? dit-elle, avec un accent d’admiration naïve.

– Absolument rien, dit Rocambole avecindifférence. Vous voyez, ils ont voulu m’étrangler !

– Mais ils vous ont manqué !

– Non, certes. Le lasso s’est abattu surmoi et enroulé autour de mon cou.

Gipsy, tout en étant chrétienne, avait tropvécu avec les bohémiens pour n’être pas un peusuperstitieuse :

– Êtes-vous donc à l’abri de lamort ? fit-elle.

– Non, mais jusqu’à présent, comme vousvoyez, elle ne veut pas de moi.

Gipsy cessait peu à peu de trembler, tant elleavait foi en Rocambole.

Et comme son effroi s’en allait, son amourpour sir Arthur Newil reprenait tout son empire dans son cœur, etelle se disait :

– Je vais le revoir !

Quand ils furent aux portes de Londres, enpleine lumière sous le gaz, Rocambole appela Marmouset qui avaitcontinué de marcher en avant.

– Maintenant, lui dit-il, explique-moicomment toi, tout seul, tu es venu à ma rencontre et, par suite, àmon aide.

– Ce n’est pas sans peine, réponditMarmouset.

– Vraiment ?

– M. Milon ne voulait pas me laisserpartir.

Et Marmouset raconta de point en point ce quis’était passé :

– Voilà un garçon vraiment intelligent,se disait Rocambole, tandis que Marmouset achevait son récit.

Le récit de Marmouset, qui ne s’exprimaitqu’en français, était inintelligible pour Gipsy qui ne parlaitpoint cette langue.

Mais peu importait à la jeune fille.

Le souvenir de sir Arthur Newil avait absorbéde nouveau toutes ses facultés.

Comme ils entraient dans White-Chapel,Rocambole disait à Marmouset :

– Je te nomme mon lieutenant !

– Fameux cela ! dit l’enfant.

– Va-t’en auprès de Saint-Paul et ramèneMilon et les autres.

– En quel endroit ?

– Vous vous disséminerez dans les ruesqui entourent la maison de Gipsy, et vous vous tiendrez prêts àtout.

– Mais vous… maître ?

– Si tu as besoin de moi, tu me trouverascouché à sa porte, dans l’escalier.

Marmouset fila comme une flèche, et se perditdans les petites rues de White-Chapel.

Gipsy et Rocambole gagnèrent la maison oùétait mort Faro, et dans laquelle la jeune fille avait passé sonenfance.

– Maintenant, lui dit Rocambole, ne vousinquiétez plus de moi, Gipsy. Bonsoir, et à demain…

En parlant ainsi, il déplia son manteau etl’étendit sur le seuil extérieur de la porte.

Gipsy rentra chez elle, feignit de se mettreau lit, souffla sa lampe et murmura :

– Il faut pourtant que j’aille voir sirArthur.

Et elle changea de vêtements dans l’obscurité,et revêtit les habits de matelot qu’elle portait toutes lesnuits.

Elle n’avait pas osé se confier àRocambole.

Cette métamorphose accomplie, elle se dirigeavers la fenêtre, l’ouvrit sans bruit, et se risqua de nouveau dansce chemin périlleux où le moindre faux pas eut été puni demort.

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