Le Roman d’un enfant

XI

Gaspard, un petit chien courtaud, lourd, pasbien de sa personne, mais qui était tout en deux grands yeux pleinsde vie et bonne amitié. Je ne sais plus comment il avait étérecueilli chez nous, où il passa quelques mois et où je l’aimaitendrement.

Or, un soir, pendant une promenade d’hiver,Gaspard m’avait quitté. On me consola en me disant qu’il rentreraitcertainement seul, et je revins à la maison assez courageusement.Mais quand la nuit commença de tomber, mon cœur se serrabeaucoup.

Mes parents avaient à dîner ce jour-là unvioloniste de talent et on m’avait permis de veiller plus tard pourl’entendre. Aux premiers coups de son archet, dès qu’il commença defaire gémir je ne sais quel adagio désolé, ce fut pour moi commeune évocation de routes noires dans les bois, de grande nuit oùl’on se sent abandonné et perdu ; puis, je vis très nettementGaspard errer sous la pluie, à un carrefour sinistre, et, ne sereconnaissant plus, partir dans une direction inconnue pour nerevenir jamais… Alors les larmes me vinrent, et comme on ne s’enapercevait point, le violon continua de lancer dans le silence sesappels tristes, auxquels répondaient, du fond des abîmes d’endessous, des visions qui n’avaient plus de forme, plus de nom, plusde sens.

Ce fut ma première initiation à la musique,évocatrice d’ombres. Des années se passèrent ensuite avant que j’ycomprisse de nouveau quelque chose, car les petits morceaux depiano, « remarquables pour mon âge », disait-on, que jecommençais à jouer moi-même, n’étaient encore rien qu’un bruit douxet rythmé à mes oreilles.

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