Le Roman d’un enfant

XXXII

Cependant mon musée faisait de grands progrès,et il avait fallu y placer des étagères nouvelles.

Le grand-oncle, visité très souvent et de plusen plus intéressé à mon penchant pour l’histoire naturelle,trouvait dans ses réserves de coquilles une quantité de doublerdont il me faisait cadeau. Avec une bonté et une patienceinfatigables, il m’apprenait les savantes classifications deCuvier, Linné, Lamarck ou Bruguières, et je m’étonne de l’attentionque j’y prêtais.

Sur un petit bureau très ancien, qui faisaitpartie du mobilier de mon musée, j’avais un cahier où, d’après sesnotes, je recopiais, pour chaque coquille étiquetée soigneusement,le nom de l’espèce, du genre, de la famille, de la classe, – puisdu lieu d’origine.

Et là, dans le demi-jour atténué qui tombaitsur ce bureau, dans le silence de ce petit recoin haut perché,isolé, rempli déjà d’objets venus des plus extrêmes lointains dumonde ou des derniers fins fonds de la mer, quand mon esprits’était longuement inquiété du changeant mystère des formesanimales et de l’infinie diversité des coquilles, – avec quelleémotion je transcrivais sur mon cahier, en face du nom d’unSpirifire ou d’un Térébratule, des mots comme ceux-ci, enchantés etpleins de soleil : « Côte orientale d’Afrique, côte deGuinée, mer des Indes ! »

Dans ce même musée, je me rappelle avoiréprouvé par une après-midi de mars, un des plus singulierssymptômes de ce besoin de réaction qui, plus tard, à certainespériodes de complète détente, devait me pousser vers le bruit, lemouvement, la gaieté simple et brutale des matelots.

C’était le mardi gras. Au beau soleil, j’étaissorti avec mon père, pour voir un peu les mascarades dans lesrues ; et puis, rentré de bonne heure, je m’étais tout desuite rendu là-haut, pour m’amuser à mes classifications decoquillages. Mais les cris lointains des masques et le bruit deleurs tambours venaient me poursuivre jusque dans ma retraite dejeune savant et m’y apportaient une insupportable tristesse.C’était, en beaucoup plus pénible, une impression dans le genre decelle que me causait le chant de la vieille marchande de gâteaux,quand elle allait se perdre du côté des rues basses et desremparts, les nuits d’hiver. Cela devenait une vraie angoisse,subite, inattendue, – mais fort mal définie.

Confusément, je souffrais d’être enfermé, moi,et penché sur des choses arides, bonnes pour des vieillards, quanddehors les petits garçons du peuple, de tous les âges, de toutesles tailles, et les matelots, plus enfants qu’eux, couraient,sautaient, chantaient à plein gosier, ayant sur la figure desmasques de deux sous. Je n’avais aucune envie de les suivre, celava sans dire ; j’en sentais même l’impossibilité avec ledégoût le plus dédaigneux. Et je tenais beaucoup à rester là, ayantà finir de mettre en ordre la famille multicolore des Purpurifères,vingt-troisième des Gastéropodes.

Mais, c’est égal, ils me troublaient bienétrangement, ces gens de la rue !… Et alors, me sentant endétresse, je descendis chercher ma mère, la prier avec instance demonter me tenir compagnie. Étonnée de ma demande (car je neconviais jamais personne dans ce sanctuaire), étonnée surtout demon air anxieux, elle me dit d’abord en plaisantant que c’étaitridicule de la part d’un garçon de dix ans bientôt accomplis ;mais elle consentit tout de suite à venir, et s’installa, presqueun peu inquiète, auprès de moi dans mon musée, une broderie à lamain.

Oh ! alors, rasséréné, réchauffé par sabienfaisante présence, je me remis à l’ouvrage sans plus me soucierdes masques, et en regardant seulement de temps à autre son cherprofil se découper en silhouette sur le carré clair de ma petitefenêtre, tandis que baissait le jour de mars.

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