Le Roman d’un enfant

XXXIII

Je m’étonne de ne plus me rappeler par quelletransformation, lente ou subite, ma vocation de pasteur devint unevocation plus militante de missionnaire.

Il me semble même que j’aurais dû trouver celabeaucoup plus tôt, car de tout temps je m’étais tenu au courant desmissions évangéliques, surtout de celles de l’Afrique australe, aupays des Bassoutos. Et, depuis ma plus petite enfance, j’étaisabonné au Messager, journal mensuel, dont l’image d’en-tête m’avaitfrappé de si bonne heure. Cette image, je pourrais la ranger enpremière ligne parmi celles dont j’ai parlé précédemment et quiarrivent à impressionner en dépit du dessin, de la couleur ou de laperspective. Elle représentait un palmier invraisemblable, au bordd’une mer derrière laquelle se couchait un soleil énorme, et, aupied de cet arbre, un jeune sauvage regardant venir, du bout del’horizon, le navire porteur de la bonne nouvelle du salut. Dansmes commencements tout à fait, quand, au fond de mon petit nidrembourré d’ouate, le monde ne m’apparaissait encore que déformé etgrisâtre, cette image m’avait donné à rêver beaucoup ; j’étaiscapable à présent d’apprécier tout ce qu’elle avait d’enfantincomme exécution, mais je continuais de subir le charme de cetimmense soleil, à demi abîmé dans cette mer, et de ce petit bateaudes missions arrivant à pleines voiles vers ce rivage inconnu.

Donc, quand on me questionnait maintenant, jerépondais : « Je serai missionnaire. » Mais jebaissais la voix pour le dire, comme quand on ne se sent pas trèssûr de ses forces, et je comprenais bien aussi qu’on ne me croyaitplus. Ma mère elle-même accueillait cette réponse avec un souriretriste ; d’abord c’était dépasser ce qu’elle demandait de mafoi ; – et puis elle pressentait sans doute que ce ne seraitpoint cela, que ce serait autre chose, de plus tourmenté et de toutà fait impossible à démêler pour le moment.

Missionnaire ! Il semblait cependant quecela conciliait tout. C’étaient bien les lointains voyages, la vieaventureuse et sans cesse risquée, – mais au service du Seigneur etde sa sainte cause. Cela mettait pour un temps ma conscience enrepos.

Ayant imaginé cette solution-là, j’évitais d’yarrêter mon esprit, de peur d’y découvrir encore quelque épouvante.Du reste, l’eau glacée des sermons banals, des redites, du patoisreligieux, continuait de tomber sur ma foi première. Et parailleurs, ma crainte ennuyée de la vie et de l’avenir s’augmentaittoujours ; en travers de ma route noire, le voile de plombdemeurait baissé, impossible à soulever avec ses grands plislourds.

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