LXXII
Aux premiers jours d’octobre, une joyeusedépêche de mon père nous rappela en toute hâte ; mon frère,qui rentrait en Europe par un paquebot de Panama, venait dedébarquer à Southampton ; nous n’avions donc que le temps denous rendre, si nous voulions être à la maison pour lerecevoir.
Et, en effet, le soir du surlendemain, nousarrivâmes tout juste à point, car on l’attendait lui-même quelquesheures après par un train de nuit. Rien que le temps de remettredans sa chambre, à leurs places d’autrefois, les différents petitsbibelots qu’il m’avait confiés quatre années auparavant, et il futl’heure de partir pour la gare à sa rencontre. Moi, cela ne mesemblait pas une chose réelle, ce retour, surtout annoncé sibrusquement, – et je n’en avais pas dormi depuis deux nuits.
Aussi tombais-je de sommeil à cette gare,malgré mon impatience extrême, et ce fut comme dans un rêve que jele vis reparaître, que je l’embrassai, intimidé de le retrouver sidifférent de l’image qui m’était restée de lui : noirci, labarbe épaissie, la parole plus brève, et m’examinant avec uneexpression moitié souriante, moitié anxieuse, comme pour constaterce que les années avaient commencé à faire de moi et démêler cequ’elles en pourraient tirer plus tard…
En rentrant à la maison, je dormais debout,d’un de ces sommeils d’enfant fatigué par un long voyage contrelesquels il n’y a pas de résistance, et on m’envoya coucher.