Le Roman d’un enfant

LXVII

Aux vacances qui suivirent, le départ pour leMidi et pour les montagnes m’enchanta plus que la premièrefois.

Comme l’année précédente, nous nous mîmes enroute, ma sœur et moi, au commencement d’août ; ce n’étaitplus une course à l’aventure, il est vrai ; mais le plaisir derevenir là et d’y retrouver tout ce qui m’avait tant charmé,dépassait encore l’amusement de s’en aller à l’inconnu.

Entre le point où s’arrêtait le chemin de feret le village où nos cousins demeuraient, pendant le long trajet envoiture, notre petit cocher de louage prit des traverses risquées,ne se reconnut plus et nous égara, dans les recoins du reste lesplus délicieux. Il faisait un temps rare, splendide. Et avec quellejoie je saluai les premières paysannes portant sur la tête lesgrands vases de cuivre, les premiers paysans bruns parlant patois,le commencement des terrains couleur de sanguine et des genévriersde montagne…

Vers le milieu du jour, pendant une halte pourfaire reposer nos chevaux au creux d’une vallée d’ombre, dans unvillage perdu appelé Vayrac, nous nous assîmes au pied d’unchâtaignier, – et là nous trimes attaqués par les canards del’endroit, les plus hardis, les plus mal élevés du monde,s’attroupant autour de nous avec des cris de la plus hauteinconvenance. Au départ donc, quand nous fûmes remontés dans notrevoiture, ces bêtes s’acharnant toujours à nous poursuivre, ma sœurse retourna vers eux et, avec la dignité du voyageur antiqueoutragé par une population inhospitalière, s’écria :« Canards de Vayrac, soyez maudits ! » – Même aprèstant d’années, je ne puis penser de sang-froid à mon fou rired’alors.

Surtout je ne puis me rappeler cette journéesans regretter ce resplendissement de soleil et de ciel bleu, commeà présent je ne sais plus en voir…

À l’arrivée, nous étions attendus sur laroute, au pont de la rivière, par nos cousins et par les petitsPeyral qui agitaient leurs mouchoirs.

Je retrouvai avec bonheur ma petite bande aucomplet. Nous avions un peu grandi les uns et les autres, nousétions plus hauts de quelques centimètres ; mais nous vîmestout de suite qu’à part cela nous n’avions pas changé, que nousétions aussi enfants, et disposés aux mêmes jeux.

Il y eut un orage effroyable à la tombée de lanuit.

Et, pendant qu’il tonnait à tout briser, commesi on eût tiré des salves d’artillerie sur le toit de la maison demon oncle ; pendant que toutes les vieilles gargouilles duvillage vomissaient de l’eau tourmentée et que des torrentscouraient sur les pavés en galets noirs des rues, nous nous étionsréfugiés, les petits Peyral et moi, dans la cuisine, pour y fairetapage plus à notre aise et y danser des rondes.

Très grande, cette cuisine ; garniesuivant la mode ancienne d’un arsenal d’ustensiles en cuivre rouge,séries de poêles et de chaudrons, accrochés aux murailles par ordrede grandeur, et brillant comme des pièces d’armure. Il faisaitpresque noir ; on commençait à sentir la bonne odeur del’orage, de la terre mouillée, de la pluie d’été ; et par lesépaisses fenêtres Louis XIII, grillées de fer, entraient de minuteen minute les grandes lueurs vertes aveuglantes qui nousobligeaient, malgré nous, de cligner des yeux. Nous tournions, noustournions comme des fous, en chantant à quatre voix :« L’astre des nuits dans son paisible éclat… », unechanson sentimentale qui n’a jamais été faite pour danser, mais quenous scandions drôlement par moquerie, pour l’accommoder en air deroute.

Cela dura je ne sais combien de temps, cettesarabande de joie, l’orage nous portant sur les nerfs, l’excès debruit et de vitesse tournante nous grisant comme de petitsderviches ; c’était la fête de mon retour célébrée ;c’était une manière d’inaugurer dignement les vacances, de narguerle Grand-Singe, d’ouvrir la série des expéditions et enfantillagesde toutes sortes qui allaient recommencer demain pis quejamais.

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