XII
Ceci maintenant est une angoisse causée parune lecture qu’on m’avait faite. Je ne lisais jamais moi-même etdédaignais beaucoup les livres.) Un petit garçon très coupable,ayant quitté sa famille et son pays, revenait visiter seul lamaison paternelle, après quelques années pendant lesquelles sesparents et sa sœur étaient morts. Cela se passait en novembre,naturellement, et l’auteur décrivait le ciel gris, parlait du ventqui secouait les dernières feuilles des arbres.
Dans le jardin abandonné, sous un berceau auxbranches dégarnies, l’enfant prodigue, en se baissant vers la terremouillée, reconnut parmi toutes ces feuilles d’automne, une perlebleue qui était restée à cette place depuis le temps où il venaits’amuser là, avec sa sœur…
Oh ! alors je me levai, demandant qu’oncessât de lire, sentant les sanglots qui me venaient… J’avais vu,absolument vu, ce jardin solitaire, ce vieux berceau dépouillé, et,à moitié cachée sous ces feuilles rousses, cette perle bleue,souvenir d’une sœur morte… Tout cela me faisait mal, affreusement,me donnait la conception de la fin languissante des existences etdes choses, de l’immense effeuillement de tout…
Il est étrange que mon enfance si tendrementchoyée m’ait surtout laissé des images tristes.
Évidemment, ces tristesses étaient les trèsrares exceptions, et je vivais d’ordinaire dans l’insouciance gaiede tous les enfants ; mais sans doute, les jours de complètegaieté, précisément parce qu’ils étaient habituels, ne marquaientrien dans ma tête, et je ne les retrouve plus.
J’ai aussi beaucoup de souvenirs d’été, quisont tous les mêmes, qui font comme des taches claires de soleilsur la confusion des choses entassées dans ma tête.
Et toujours, la grande chaleur, les trèsprofonds ciels bleus, les étincellements de nos plages de sable, laréverbération de la lumière sur les chaux blanches des maisonnettesdans nos petits villages de l’« île », me causaient cesimpressions de mélancolie et de sommeil, que j’ai retrouvéesensuite, avec une intensité plus grande, dans les pays d’Islam…