Le Roman d’un enfant

XLI

À propos de Limoise, j’ai la vanité de conterun de mes actes, qui fut vraiment héroïque comme obéissance, commefidélité à une parole donnée.

Cela se passait un peu avant ce départ pour leMidi, dont mon imagination était si préoccupée ; parconséquent, vers le mois de juillet qui suivit mes douze ansaccomplis.

Un certain mercredi, après m’avoir fait partirde meilleure heure que de coutume, afin d’être sûr que j’arriveraisavant la nuit, on se borna, sur mes instances pressantes, à meconduire hors de ville ; puis on me permit, pour une fois, decontinuer jusqu’à la Limoise seul, comme un grand garçon.

Au passage de la rivière, je tirai de mapoche, déjà avec une indicible honte devant les vieux batelierstannés par la mer, la cravate de soie blanche que j’avais promis deme mettre au cou, par précaution contre la fraîcheur de l’eau.

Et une fois sur les Chaumes, lieu sans ombre,toujours brûlé par un ardent soleil, j’exécutai le serment qu’onavait exigé de moi au départ : j’ouvris un en tout cas !– Oh ! je me sentis rougir, je me trouvai amèrement ridicule,quand une petite bergère était là, tête nue, gardant ses moutons.Pour comble, arrivaient du village quatre garçons, qui sortaient del’école sans doute et qui, de loin, me regardaient avec étonnement.Mon Dieu ! je me sentais faiblir ; aurais-je bien lecourage vraiment de tenir jusqu’au bout ma parole !…

Ils passèrent à côté de moi, regardant deprès, sous le nez, ce petit monsieur qui craignait tant les coupsde soleil ; l’un dit cette chose, qui n’avait aucun sens, maisqui me cingla comme une mortelle injure : « C’est lemarquis de Carabas ! » et ils se mirent tous à rire.Cependant je continuai ma route sans broncher, sans répondre,malgré le sang qui m’affluait aux joues, me bourdonnait auxoreilles, et je gardai mon en-tout-cas ouvert ! Dans la suitedes temps, il devait m’arriver maintes fois de passer mon cheminsans relever des injures lancées par de pauvres gens ignorants descauses ; mais je ne me rappelle pas en avoir souffert. Tandisque cette scène !… Non, ma conscience ne m’a jamais faitaccomplir rien d’aussi méritoire. Mais je suis convaincu, parexemple, qu’il ne faut pas chercher autre part l’origine de cetteaversion pour les parapluies qui m’a suivi dans l’âge mûr. Etj’attribue aux foulards, aux calfeutrages, aux précautionsexcessives dont on m’entourait jadis, le besoin qui me prit, plustard, quand vint la période des réactions extrêmes, de noircir mapoitrine au soleil et de l’exposer à tous les vents du ciel.

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