Le Roman d’un enfant

XLV

Castelnau ! c’est un nom ancien quiévoque pour moi des images de soleil, de lumière pure sur deshauteurs, de calme mélancolique dans des ruines, de recueillementdevant des splendeurs mortes ensevelies depuis des siècles.

Sur une des montagnes boisées environnantes,ce vieux château de Castelnau était perché, découpant en l’airl’amas rougeâtre de ses terrasses, de ses remparts, de ses tours etde ses tourelles.

Du jardin de mon oncle on le voyait, passantsa tête lointaine au-dessus des murs d’enceinte.

C’était du reste le point marquant dans toutle pays d’alentour, la chose qu’on regardait malgré soi departout : cette dentelure de pierres de couleur de sanguineémergeant d’un fouillis d’arbres, cette ruine posée en couronne surun piédestal garni d’une belle verdure de châtaigniers et dechênes.

Dés le jour de mon arrivée, j’avais aperçucela du coin de l’œil, très étonné et attiré par ce vieux nidd’aigle, qui avait dû être tellement superbe, au sombre Moyen Âge.Or, c’était précisément une coutume d’été dans la famille de mononcle de s’y rendre deux ou trois fois par mois, pour dîner etpasser la journée chez le propriétaire : un vieux prêtre, quihabitait là-haut un pavillon confortable accroché au flanc desruines.

Il y avait fête et féerie pour moi, cesjours-là.

Tous ensemble, on partait, assez matin pourêtre sorti de la plaine chaude avant les heures ardentes.

Aussitôt arrivé à la base de la montagne, ontrouvait la fraîcheur et l’ombre de ce bois qui la couvrait de sonbeau manteau vert. Sous une voûte de grands chênes, sous unefeuillée touffue, on montait, on montait, par des chemins enzigzags, toute la famille à la file et à pied, formant serpent,comme ces pèlerins qui se rendent à des abbayes solitaires sur descimes, dans les dessins Moyen Âge de Gustave Doré. Çà et là, entredes fougères, des petites sources suintaient et formaient desruisseaux sur la terre rougeâtre ; entre les arbres, oncommençait à avoir par instants des échappées de vue trèsprofondes. Enfin, atteignant le sommet, on traversait le plus vieuxet le plus étrange des villages, qui se tenait perché là depuis dessiècles ; et on sonnait au petit portail du prêtre. Sonjardinet et sa maison étaient surplombés par le château, par toutle chaos des murailles et des tours rouges, ébréchées, fendillées,croulantes. Une immense paix semblait sortir de ces ruinesaériennes, un immense silence semblait s’en dégager, qui planait,intimidant, sur toutes les choses du voisinage…

Toujours très longs, les dîners que donnait cebon vieux prêtre ; souvent même, c’étaient des bombancesméridionales auxquelles plusieurs des notables de la région étaientconviés. Dix ou quinze plats se succédaient, accompagnés des fruitsles plus dorés, les plus beaux, et des vins les plus choisis parmiceux que la contrée produisait si abondamment en ce temps-là.

On restait à table plusieurs heures d’affiléepar les chaudes après-midi d’août ou de septembre, et moi, seulenfant dans la compagnie, je ne tenais pas en place, troublésurtout par le voisinage écrasant de ce château : dès lesecond service, je demandais la permission de m’en aller. Unevieille servante sortait alors avec moi et venait m’ouvrir lapremière porte des murailles féodales de Castelnau ; puis elleme confiait les clefs des immenses ruines et je m’y enfonçais seul,avec une délicieuse crainte, par un chemin déjà familier,franchissant des portes à pont-levis, des remparts qui sesuperposaient.

Donc, j’étais seul et pour de longs moments,assuré de ne voir paraître personne avant une heure ou deux ;libre d’errer au milieu de ce dédale, maître dans ce haut et tristedomaine. Oh ! les moments de rêve que j’y ai passés !…D’abord je faisais le tour des terrasses, surplombant l’abîme desbois vus par en dessus ; des étendues infinies se déroulaientde tous côtés ; des rivières traçaient çà et là sur leslointains des lacets d’argent, et, à travers l’atmosphère limpidede l’été, mes yeux plongeaient jusque dans des provinces voisines.Beaucoup de calme semblait répandu sur ce recoin de France, quivivait de sa petite vie propre, un peu comme au bon vieux temps, etqu’aucune ligne de chemin de fer ne traversait encore…

Puis, je pénétrais dans l’intérieur desruines, dans les cours, les escaliers, les galeries vides ; jemontais dans les tours, faisant lever des vols de pigeons, ou biendérangeant de leur sommeil des chauves-souris et des chouettes. Ily avait au premier étage des enfilades de salles immenses, encorecouvertes, obscures, auvents toujours fermés, où je m’enfonçai avecde délicieuses terreurs, écoutant le bruit de mes pas dans cettesonorité sépulcrale ; je passais en revue les étrangespeintures gothiques, les fresques effacées, ou les ornements encoredorés, chimères et guirlandes de bizarres fleurs, ajoutés là àl’époque de la Renaissance ; tout un passé de fantastique etfarouche magnificence, agrandi jusqu’à l’épouvante, m’apparaissaitalors noyé dans un vague de lointain, mais très éclairé, par cemême soleil du Midi qui chauffait autour de moi les pierres rougesde ces ruines abandonnées. Et, à présent que je remets ce Castelnauà son vrai point, le regardant en souvenir avec mes yeux qui ontentrevu toutes les splendeurs de la terre, je continue de penserque ce château enchanté de mon enfance était bien, dans son sitecharmant, un des plus somptueux débris de la France féodale…

Oh ! dans une tour, certaine chambre avecpoutrelles bleu de roi semées de rosaces et de blasons d’or !…Aucun lieu ne m’a jamais apporté une plus intime impression deMoyen Âge ! au milieu de ce silence de nécropole, accoudé là,seul, à une petite fenêtre aux épaisses parois, je contemplais leslointains verdoyants d’en dessous, cherchant à me représenter, surces sentiers aperçus à vol d’oiseau, des chevauchées d’hommesd’armes, ou des cortèges de nobles châtelaines en hennin… Et, pourmoi, élevé dans les plaines unies, un des plus singuliers charmesde ce lieu était ce grand vide bleuâtre des lointains, qu’onapercevait par toutes les ouvertures, meurtrières, trousquelconques des appartements ou des tours, et qui, tout de suite,me donnait le sentiment si nouveau des excessives hauteurs.

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