Le Roman d’un enfant

XLIX

Nous revînmes au commencement d’octobre. Maisun événement bien pénible pour moi marqua ce retour : on memit au collège ! Comme externe bien entendu ; et encoreallait-il sans dire que je serais toujours conduit et ramené, parcrainte des mauvaises fréquentations. Mon temps d’étudesuniversitaires devait se réduire à quatre années de l’externat leplus libre et le plus fantaisiste.

Mais c’est égal, à partir de cette datefatale, mon histoire se gâte beaucoup.

La rentrée était à deux heures del’après-midi, et par une de ces délicieuses journées d’octobre,chaudes, tranquillement ensoleillées, qui sont comme un adieu trèsmélancolique de l’été. Il eût fait si beau, hélas ! là-bas,sur les montagnes, dans les bois effeuillés, dans les vignesroussies !

Au milieu d’un flot d’enfants qui parlaienttous à la fois, je pénétrai dans ce lieu de souffrance. Ma premièreimpression fut toute d’étonnement et de dégoût, devant la laideurdes murs barbouillés d’encre, et devant les vieux bancs de boisluisants, usés, tailladés à coups de canif, où l’on sentait quetant d’écoliers avaient souffert. Sans me connaître, ils metutoyaient, mes nouveaux compagnons, avec des airs protecteurs oumême narquois ; moi, je les dévisageais timidement, lestrouvant effrontés et, pour la plupart, fort mal tenus.

J’avais douze ans et demi, et j’entrai entroisième ; mon professeur particulier avait déclaré quej’étais de force à suivre, si je voulais, bien que mon petit savoirfut très inégal. On composait ce premier jour, en version latine,pour le classement d’entrée, et je me rappelle que mon pèrem’attendait lui-même assez anxieusement à la sortie de cette séanced’essai. Je lui répondis que j’étais second sur une quinzaine,étonné qu’il parût attacher tant d’importance à une chose quim’intéressait si peu. Ça m’était bien égal à moi !

Navré comme j’étais, en quoi ce détailpouvait-il m’atteindre ?

Plus tard, du reste, je n’ai pas connudavantage l’émulation. Être dernier m’a toujours paru le moindredes maux qu’un collégien est appelé à souffrir.

Les semaines qui suivirent furent affreusementpénibles. Vraiment je sentais mon intelligence se rétrécir sous lamultiplicité des devoirs et des pensums ; même le champ de mespetits rêves se fermait peu à peu. Les premiers brouillards, lespremières journées grises ajoutaient à tout cela leur désoléetristesse. Les ramoneurs savoyards étaient aussi revenus, poussantleur cri d’automne, qui déjà, les années précédentes, me serrait lecœur à me faire pleurer. Quand on est enfant, l’approche d’un hiveramène des impressions irraisonnées de fin de toutes choses, de mortpar le sombre et par le froid ; les durées semblent silongues, à cet âge, qu’on n’entrevoit même pas le renouveau d’aprèsqui ramènera tout.

Non, c’est quand on est déjà pas mal avancédans la vie et qu’il faudrait au contraire faire plus de cas de sessaisons comptées, c’est seulement alors qu’on regarde un hivercomme rien.

J’avais un calendrier où j’effaçais lentementles jours ; vraiment, au début de cette année de collège,j’étais oppressé par la perspective de tant de mois, et de moisinterminables comme ils étaient alors, dont il faudrait subir lepassage avant d’atteindre seulement ces vacances de Pâques, cerépit de huit jours dans l’ennui et la souffrance ; j’étaissans courage, parfois j’avais des instants de désespoir, devant lalongueur traînante du temps.

Bientôt le froid, le vrai froid vint,aggravant encore les choses. Oh ! ces retours du collège, lesmatins de décembre, quand pendant deux mortelles heures on s’étaitchauffé à l’horrible charbon de terre, et qu’il fallait subir levent glacé de la rue pour rentrer chez soi !

Les autres petits gambadaient, sautaient, sepoussaient, savaient faire des glissades quand par hasard lesruisseaux étaient gelés… Moi, je ne savais pas, et puis cela m’eûtsemblé de la plus haute inconvenance ; du reste on me ramenaitet je revenais posément, transi ; humilié d’être conduit,raillé quelquefois par les autres, pas populaire parmi ceux de maclasse, et dédaigneux de ces compagnons de chaîne avec lesquels jene me sentais pas une idée commune.

Le jeudi même, il y avait des devoirs quiduraient tout le jour. Des pensums aussi, d’absurdes pensums, queje bâclais d’une affreuse écriture déformée, ou par lesquelsj’essayais toutes les ruses écolières, décalages et porte-plumes àcinq becs.

Et dans mon dégoût de la vie, je ne mesoignais même plus ; je recevais maintenant des remontrancespour être mal peigné, pour avoir les mains sales (d’encres’entend)… Mais si j’insistais, je finirais par mettre dans monrécit tout le pâle ennui de ce temps-là.

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