Le Roman d’un enfant

XLVIII

Ces petits de Sainte-Hermangarde, dont onm’avait depuis si longtemps parlé, arrivèrent à la mi-septembre.Leur château de Sainte-Hermangarde était situé au nord, du côté dela Corrèze ; et ils venaient tous les ans passer icil’automne, dans un très vieil hôtel délabré qui touchait àl’habitation de mon oncle.

Deux garçons cette fois, et un peu mes aînés.Mais, contrairement à ce que j’avais craint, leur compagnie me pluttout de suite. Habitués à vivre une partie de l’année à la campagnesur leurs terres, ils avaient déjà des fusils, de la poudre ;ils chassaient. Ils apportèrent donc dans mes jeux une note tout àfait nouvelle.

Leur domaine de Borie devint un de nos centresd’opérations ; là tout était à nos ordres, les gens, les bêteset les granges. Et un de nos amusements favoris pendant cette finde vacances fut de construire d’énormes ballons de papier de deuxou trois mètres de haut que nous gonflions en brûlant au-dessousdes gerbes de foin, et puis que nous regardions s’élever, partir,se perdre au loin dans les champs ou les bois.

Mais ces petits de Sainte-Hermangarde étaient,eux aussi, des enfants un peu à part, élevés par un précepteur dansdes idées différentes de celles qui se prennent au lycée ;quand il y avait divergence d’avis entre nous pour ces jeux,c’était à qui céderait par courtoisie ; et alors leur contactne pouvait guère me préparer aux froissements de l’avenir.

Or, un jour, ils vinrent gentiment me fairecadeau d’un papillon fort rare : le« citron-aurore », qui est d’un jaune pâle un peu vert,comme le « citron » commun, mais qui porte, sur les ailessupérieures, une sorte de nuage délicieusement rose, d’une teintede soleil levant. C’était, disaient-ils, dans leur domaine deBorie, sur les regains d’automne, qu’ils venaient de le prendre –avec tant de précautions du reste qu’aucune trace de leurs doigtsn’apparaissait sur ses couleurs fraîches. Et quand je le reçus deleurs mains, vers midi, dans le vestibule de la maison de mononcle, toujours fermé dans la journée à cause de la lourde chaleurdu dehors, on entendait, à la cantonade, mon grand cousin quichantait, d’une voix atténuée en fausset plaintif de montagnard. Ilse faisait quelquefois cette voix-là, qui me causait maintenant unemélancolie étrange dans le silence des derniers midis de septembre.Et c’était toujours pour recommencer la même vieille chanson :« Ah ! ah ! la bonne histoire… » qu’il laissaitaussitôt mourir sans l’achever jamais. À partir de ce moment donc,le domaine de Borie, le papillon aurore, et le petit refrainmélancolique de la « bonne histoire » furentinséparablement liés dans mon souvenir…

Vraiment, je crains de parler trop souvent deces associations incohérentes d’images qui m’étaient jadis sihabituelles ; c’est la dernière fois, je n’y reviendrai plus.Mais on verra combien il était important, pour ce qui va suivre, denoter encore cette association-là.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer