Le Roman d’un enfant

XVII

La pauvre vieille grand-mère aux chansonsallait mourir.

Nous étions auprès de son lit, tous, à latombée d’un jour de printemps. Il y avait à peine quarante huitheures qu’elle était alitée, mais, à cause de son grand âge, lemédecin avait déclaré que c’était pour elle la fin trèsprochaine.

Son intelligence venait tout à coup des’éclaircir ; elle ne se trompait plus dans nos noms ;elle nous appelait, nous retenait près d’elle d’une voix douce etposée – sa voix de jadis, probablement, – que je ne lui avaisjamais connue.

Debout à côté de mon père, je promenais mesyeux sur l’aïeule mourante et sur sa modeste grande chambre auxmeubles anciens. Je regardais surtout ces tableaux des murs,représentant des fleurs dans des vases.

Oh ! ces aquarelles qui étaient chezgrand-mère, pauvres petites choses naïves ! Elles portaienttoutes cette dédicace : « Bouquet à ma mère », etau-dessous, une respectueuse poésie à elle dédiée, un quatrain,qu’à présent je savais lire et comprendre. Et c’étaient des œuvresd’enfance ou de première jeunesse de mon père, qui, à chaqueanniversaire de fête, embellissait ainsi l’humble logis d’untableau nouveau. Pauvres petites choses naïves, comme ellestémoignaient bien de cette vie si modeste d’alors et de cettesainte intimité du fils avec la mère, – au vieux temps, après lesgrandes épreuves, au lendemain des terribles guerres, des corsairesanglais et des « brûlots »… Pour la première foispeut-être je songeais que grand-mère avait été jeune ; quesans doute, avant ce trouble survenu dans sa tête, mon père l’avaitchérie comme moi je chérissais maman, et que son chagrin de laperdre allait être extrême ; j’avais pitié de lui et je mesentais plein de remords pour avoir ri des chansons, pour avoir rides causeries avec l’image de miroir…

On m’envoya en bas. Sous différents prétextes,on me tint constamment éloigné pendant la fin de la journée sansque je comprisse pourquoi ; puis on me conduisit chez nosamis, les D***, pour dîner avec Lucette.

Mais quand je fus ramené par ma bonne, vershuit heures et demie, je voulus monter tout droit chezgrand-mère.

Dès l’abord, je fus frappé de l’ordre parfaitqui était rétabli dans les choses, de l’air de paix profonde quecette chambre avait pris… Dans la pénombre du fond, mon père étaitassis immobile, au chevet du lit, dont les rideaux ouverts sedrapaient correctement et, sur l’oreiller, bien au milieu,j’apercevais la tête de ma grand-mère endormie ; sa pose avaitje ne sais quoi de trot régulier, – de définitif pour ainsi dire,d’éternel.

l’entrée, presque à la porte, ma mère et masœur travaillaient de chaque côté d’une chiffonnière, à la placequ’elles avaient adoptée pour veiller, depuis que grand-mère étaitmalade. Sitôt que j’avais paru, elles m’avaient fait signe de lamain : « Doucement, doucement ; pas de bruit, elledort. » L’abat-jour de leur lampe projetait la lumière plusvive sur leur ouvrage, qui était un fouillis de petits carrés desoie, verts, bruns, jaunes, gris et où je reconnaissais desmorceaux de leurs anciennes robes ou de leurs anciens rubans dechapeaux.

Dans le premier moment, je crus que c’étaientdes objets qu’il était d’usage de préparer ainsi pour les personnesmourantes ; mais, comme je questionnais tout bas, un peuinquiet, elles m’expliquèrent : c’était simplement des sachetsqu’elles taillaient et qu’elles allaient coudre, pour une vente decharité.

Je leur dis qu’avant de me coucher je voulaism’approcher de grand-mère, pour essayer de lui souhaiter lebonsoir, et elles me laissèrent faire quelques pas vers lelit ; mais, comme j’arrivais au milieu de la chambre, seravisant subitement après un coup d’œil échangé :

– Non, non, dirent-elles à voix toujoursbasse, reviens, tu pourrais la déranger.

Du reste, je venais de m’arrêter de moi-même,saisi et glacé : j’avais compris… Malgré l’effroi qui meclouait sur place, je m’étonnais que grand-mère fût si peudésagréable à regarder ; n’ayant encore jamais vu de morts, jem’étais imaginé jusqu’à ce jour que, l’âme étant partie, ilsdevaient faire tous, dès la première minute, un grimacementdécharné, inexpressif, comme les têtes de squelettes.

Et au contraire, elle avait un sourireinfiniment tranquille et doux ; elle était jolie toujours, etcomme rajeunie, en pleine paix…

Alors passa en moi une de ces tristes petiteslueurs d’éclair, qui traversent quelquefois la tête des enfants,comme pour leur permettre d’interroger d’un furtif coup d’œil desabîmes entrevus, et je me fis cette réflexion : Commentgrand-mère pourrait-elle être au ciel, comment comprendre cedédoublement-là, puisque ce qui reste pour être enterré esttellement elle-même, et conserve, hélas ! jusqu’à sonexpression ?… Après, je me retirai sans questionner personne,le cœur serré et l’âme désorientée, n’osant pas demander laconfirmation de ce que j’avais deviné si bien, et préférant ne pasentendre prononcer le mot qui me faisait peur…

Longtemps, les petits sachets en soierestèrent liés pour moi à l’idée de la mort…

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