Le Roman d’un enfant

LXIV

Les jeudis de Limoise, à la rage du soleil,quand tout dormait accablé dans la campagne silencieuse, j’avaispris l’habitude de grimper sur le vieux mur d’enceinte, au fond dujardin, et d’y rester longtemps, à califourchon, immobile à la mêmeplace, les touffes de lierre me montant jusqu’aux épaules, toutesles mouches et toutes les sauterelles bruissant autour de moi.Comme du haut d’un observatoire, je contemplais la campagne chaudeet morne, les bruyères, les bois, et les légers voiles blancs dumirage, que l’extrême chaleur agitait sans cesse d’un petitmouvement tremblant de surface de lac. Ces horizons de la Limoiseconservaient encore pour moi l’espèce de mystère d’inconnu que jeleur avais prêté pendant les premiers étés de ma vie. La région unpeu solitaire qu’on voyait du haut de ce mur, je me la représentaiscomme devant se continuer indéfiniment ainsi, par des landes et desbois, en vrai site de contrée primitive ; j’avais beau trèsbien savoir, à présent, qu’au delà se trouvaient, comme ailleurs,des routes, des cultures et des villes, je réussissais à garderl’illusion de la sauvagerie de ces lointains.

Du reste, pour mieux me tromper moi-même,j’avais soin de cacher, avec mes doigts repliés en longue-vue, toutce qui pouvait me gâter cet ensemble désert : une vieilleferme là-bas, avec un coin de vigne labourée et un bout de chemin.Et là, tout seul, distrait par rien dans ce silence plein debourdonnements d’insectes, dirigeant toujours le creux de ma mainvers les parties les plus agrestes d’alentour, j’arrivais très bienà me donner des impressions de pays exotiques et sauvages.

Des impressions de Brésil surtout. Je ne saispas pourquoi c’était plutôt le Brésil, que le bois voisin mereprésentait, dans ces moments de contemplations.

Et il me faut dire en passant comment est cebois, le premier de tous les bois de la terre que j’aie connu etcelui que j’ai le plus aimé : de très vieux chênes verts,arbres aux feuilles persistantes et d’une couleur sombre, formantun peu colonnade de temple avec leurs troncs élancés ; etlà-dessous, aucune broussaille, mais un sol à part, constammentsec, recouvert toute l’année de la même petite herbe exquise,courte et très fine comme un duvet ; çà et là seulementquelques bruyères, quelques filipendules, quelques rares fleurettesd’ombre.

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