XXX
Mon frère était arrivé dans l’îledélicieuse.
Sa première lettre datée de là-bas, trèslongue, sur un papier mince et léger jauni par la mer, avait misquatre mois à nous parvenir.
Elle fut un événement dans notre vie defamille ; je me rappelle encore, pendant que mon père et mamère la décachetaient en bas, avec quelle joyeuse vitesse je montaiquatre à quatre au second étage, pour appeler dans leurs chambresma grand-mère et mes tantes.
Sous l’enveloppe si remplie, toute couverte detimbres d’Amérique, il y avait un billet particulier pour moi et,en le dépliant, j’y trouvai une fleur séchée, sorte d’étoile à cinqfeuilles d’une nuance pâle, encore rose.
Cette fleur, me disait mon frère, avait pousséet s’était épanouie près de sa fenêtre, à l’intérieur même de samaison tahitienne, qu’envahissaient les verdures admirables delà-bas. Oh ! avec quelle émotion singulière, – quelle avidité,si je puis dire ainsi, – je la regardai et la touchai cettepervenche, qui était une petite partie encore colorée, encorepresque vivante, de cette nature si lointaine et si inconnue…
Ensuite je la serrai, avec tant de précautionsque je la possède encore.
Et, après bien des années, quand je vins faireun pèlerinage à cette case que mon frère avait habitée sur l’autreversant du monde, je vis qu’en effet le jardin ombreux d’alentourétait tout rose de ces pervenches-là ; qu’elles franchissaientmême le seuil de la porte et entraient, pour fleurir dansl’intérieur abandonné.