Le Roman d’un enfant

XXXVIII

C’est aussi vers cette époque que j’adoptaid’une façon presque exclusive la chambre de tante Claire pour fairemes devoirs et travailler à Peau d’Âne. Je m’installai là comme enpays conquis, encombrant tout et n’admettant pas la possibilitéd’être gênant.

D’abord tante Claire était la personne qui megâtait le plus. Et si soigneuse de mes petites affaires !propos d’un étalage de choses extraordinairement fragiles oususceptibles de s’envoler au moindre souffle – comme par exempleles ailes de papillon ou les élytres de scarabée qui devaient ornerles costumes des nymphes de la féerie, – quand une fois je luiavais dit : « Je te confie tout ça, bonnetante ! » je pouvais m’en aller tranquille, personne n’ytoucherait.

Et puis une des attractions du lieu étaitl’ours aux pralines : j’entrais souvent rien que pour luirendre visite. Il était en porcelaine et habitait un coin de lacheminée, assis sur son arrière-train. D’après une conventionpassée avec tante Claire, chaque fois qu’il avait la tête tournéede côté (et il la tournait plusieurs fois par jour), c’est qu’ilcontenait dans son intérieur une praline ou un bonbon à monintention. Quand j’avais mangé, je lui remettais soigneusement lafigure au milieu pour indiquer mon passage, et je m’en allais.

Tante Claire s’employait aussi à Peaud’Âne ; elle travaillait dans les costumes et je lui donnaissa tâche chaque jour. Elle avait surtout l’entreprise de lacoiffure des fées et des nymphes ; sur leurs têtes deporcelaine grosses comme le bout du petit doigt, elle posait despostiches de soie blonde, qu’elle frisait ensuite en boucleséparses au moyen d’imperceptibles fers…

Puis, quand je me décidais à commencer mesdevoirs, dans la fièvre de la dernière demi-heure, après avoirgaspillé mon temps en flâneries de tous genres, c’était encoretante Claire qui venait à mon secours ; elle prenait en mainl’énorme dictionnaire qu’il fallait, et me cherchait mes mots pourles thèmes ou les versions. Elle s’était habituée même à lire legrec, afin de m’aider à apprendre mes leçons dans cette langue. Et,pour cet exercice, je l’entraînais toujours dans un escalier, où jem’étendais aussitôt sur les marches, les pieds plus hauts que latête : deux ou trois années durant, ce fut ma pose classiquependant la récitation de la Cyropédie ou de l’Iliade.

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